
Le projet de « Dôme d’or » du président américain Donald Trump prévoit la mise en place d’intercepteurs de missiles dans l’espace. Le Détecteur de rumeurs constate qu’il s’agit là d’une vieille idée qui a porté d’autres noms et dont l’efficacité est limitée.
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L’origine d’une idée qui n’est pas originale
En mai 2025, l’administration Trump annonçait vouloir ériger un bouclier de défense stratégique contre les missiles, appelé le Dôme d’or. Ce système comprendrait entre autres des détecteurs et des intercepteurs basés dans l’espace pour repérer les missiles ennemis et les arrêter avant qu’ils n’atteignent leur cible aux États-Unis.
L’idée d’une telle structure de protection n’est pas nouvelle. En 1983, le président Ronald Reagan proposait l’Initiative de défense stratégique. Ce système, qui n’a jamais vu le jour, aurait été composé notamment de stations de combat munies de laser et positionnées sur la terre ferme, mais aussi dans l’espace. Cependant, à cette époque, la technologie nécessaire pour réaliser ce projet n’était pas encore disponible.
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Le Dôme d’or a comme objectif de protéger le territoire américain contre les armes balistiques à longue portée qui peuvent venir de n’importe où sur la planète.
Selon les partisans de Donald Trump, les menaces contre les États-Unis auraient augmenté ces dernières années.
Par exemple, souligne la Fondation Heritage, un groupe de réflexion idéologiquement très conservateur et à l’origine du Projet 2025 —qui a fortement inspiré les premiers mois du gouvernement Trump— le nombre de pays qui possèdent de tels missiles est en hausse. Dans un document publié par cet organisme en 2024, on citait la Corée du Nord, l’Iran, la Chine et la Russie.
Par ailleurs, l’un des objectifs du Dôme d’or, c’est de protéger le territoire des États-Unis non seulement contre les missiles balistiques intercontinentaux, mais aussi contre un large éventail de nouvelles menaces comme les missiles de croisière, les armes hypersoniques et les systèmes de bombardement orbital fractionné (« FOBS » en anglais), soulignait en mai 2025 Jack O’Doherty, expert en stratégie nucléaire à l’Université de Leicester au Royaume-Uni.
Ces nouvelles armes posent certains problèmes aux systèmes actuels de défense. Par exemple, les dispositifs hypersoniques comme les missiles de croisière ou les planeurs hypersoniques sont plus faciles à manœuvrer et volent à basse altitude, ce qui les rend plus difficiles à intercepter que les missiles balistiques. Les FOBS, quant à eux, sont mis en orbite et ils ne quittent cette orbite que lorsqu’ils sont à proximité de leur cible. Ils n’ont donc pas de limites de distance et leur trajectoire ne permet pas de révéler leur cible, au contraire des missiles balistiques.
La trajectoire des missiles balistiques

Lors du lancement d’un missile balistique, ses moteurs le poussent vers le ciel pour 3 à 5 minutes. C’est la phase de propulsion. Puis, les moteurs s’arrêtent. C’est le début de la phase mi-course qui dure environ 20 minutes. Le missile poursuit alors sa trajectoire ascendante pour atteindre son altitude maximum, à l’extérieur de l’atmosphère terrestre. À ce moment, le missile amorce sa descente. Lorsqu’il retourne dans l’atmosphère et se dirige vers sa cible, c’est ce qu’on appelle la phase terminale, qui dure moins d’une minute.
Source de l’image : Evers et al., 2013
Pourquoi un bouclier spatial?
Des systèmes de détection sont déjà présents dans l’espace, expliquait en 2018 Thomas Robert, un expert des politiques spatiales du Center for Strategic and International Studies, à Washington. Ceux-ci peuvent détecter les missiles balistiques à peu près partout sur la planète, de la phase de propulsion à la phase terminale. Cependant, le seul système actuellement en place qui puisse véritablement arrêter les missiles balistiques intercontinentaux est le Ground-based Midcourse Defense system qui est situé au sol, sur des bases militaires situées en Alaska et en Californie, et qui peut intercepter les missiles pendant la phase mi-course, selon un rapport de la Société américaine de physique publié en 2025.
Cette stratégie laisse le temps aux missiles de déployer des contre-mesures, comme des leurres, expliquait en mai dernier, en réaction à l’annonce du Dôme d’or, Patrick Binning, un expert des systèmes spatiaux à l’Université Johns Hopkins. Le système a alors de la difficulté à distinguer les leurres des vrais missiles, ce qui mène à l’épuisement des intercepteurs. Dans un monde idéal, un système de défense devrait intercepter les missiles dans leur phase de propulsion, peut-on lire dans le rapport de la Société américaine de physique. Cependant, cette phase ne dure que quelques minutes, pendant lesquelles le missile accélère très rapidement. Pour l’arrêter, l’intercepteur doit donc être à moins de 500 km du site de lancement et avoir une vitesse supérieure à 18 000 km/h.
Par exemple, pour se défendre contre des missiles balistiques provenant de la Corée du Nord, les intercepteurs au sol devraient être positionnés en Russie ou en Chine, ajoutait-on dans le rapport. Une meilleure option serait de les mettre dans l’espace. Ils seraient ainsi plus près de la trajectoire potentielle d’un missile et pourraient les intercepter plus rapidement, confirmait Patrick Binning.
Une technologie limitée?
Mais même cette stratégie spatiale est loin d’être parfaite. L’intercepteur doit atteindre les missiles dans les 2 à 4 minutes suivant leur lancement, soulignait le rapport de la Société américaine de physique. Étant donné que les intercepteurs doivent se trouver à moins de quelques centaines de km du missile ciblé, ils doivent être à la bonne place en orbite et au bon moment.
Les experts y ont pensé il y a longtemps : selon des simulations informatiques réalisées dès les années 2000, un intercepteur peut arrêter un missile qui se trouve dans un rayon d’environ 850 km. Par conséquent, uniquement pour se défendre contre des missiles en provenance de la Corée du Nord, il faudrait entre 400 et 1600 intercepteurs dans l’espace. Et malgré ce nombre imposant, le système ne pourrait pas défendre les villes de l’Alaska ou même celles au nord du pays —sans parler du Canada, qui voudrait possiblement se joindre au projet.
Par ailleurs, si plusieurs missiles sont lancés en même temps, chacun devra passer dans le rayon d’un intercepteur unique pour être détruit, ajoutait Thomas Robert. Étant donné que les intercepteurs ne sont pas réutilisables, chaque interception crée un trou dans la couverture de défense. Pour tromper les systèmes de défense, l’ennemi peut donc simplement lancer plusieurs missiles à la fois, confirmait le rapport de la Société américaine de physique.
Enfin, tout ceci concerne essentiellement les missiles balistiques, dont on peut raisonnablement prévoir la trajectoire, mais ça se complique avec les nouvelles armes comme les planeurs hypersoniques ou les FOBS.
De fait, la Russie et la Chine développeraient actuellement des armes plus sophistiquées afin d’échapper aux systèmes de défense actuels et futurs, peut-on lire dans le rapport paru en février dernier. À cela, il faut ajouter les armes anti-satellites au sol qui peuvent facilement détruire les intercepteurs positionnés dans l’espace, soulignait dès 2018 l’Union of Concerned Scientists, un groupe américain indépendant de scientifiques et de citoyens œuvrant pour trouver des solutions notamment dans le domaine des armes nucléaires et de la sécurité globale.
Verdict
Les systèmes de défense basés dans l’espace représentent un grand défi technique et peuvent facilement être contournés par les adversaires. Leur efficacité pour défendre un territoire, en particulier de la taille des États-Unis, est donc limitée.