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Pourquoi les scientifiques sont-ils si peu nombreux à s’engager dans des débats publics? «Nous avons peur de nous tromper», résume l’une de celles qui a longtemps hésité à s’engager. Au même moment pourtant, une étude révèle que 87% de ses collègues aimeraient intervenir dans les débats publics.

Claire Wang, professeur de santé publique à l’Université Columbia et qui a publié plusieurs recherches associant consommation de sucre et obésité infantile, raconte un moment où, il y a trois ans, elle avait été invitée à venir témoigner par le Comité sur la santé de l’État de New York, dans le cadre d’audiences publiques sur un projet de loi qui aurait réduit la taille des boissons sucrées dans les restaurants. Elle se rappelle surtout de sa réaction : «j’étais terrifiée à l’idée de devoir prendre position publiquement, pour ou contre.»

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Oui, je croyais, comme pratiquement tous mes collègues, que les boissons sucrées menaçaient la santé publique, mais ma croyance était-elle suffisante pour justifier cette action politique? Est-ce qu’une poignée d’études longitudinales et de groupes-contrôles aléatoires suffisaient comme preuve?

Son récit est à mettre en parallèle avec cette étude qui en a surpris plus d’un, en révélant que 87% des scientifiques croient qu’ils devraient jouer «un rôle actif dans les débats sur les politiques publiques». L’étude du Centre de recherche Pew est parue à la mi-février, à l’occasion du congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences.

Près de la moitié (43%) des 3748 chercheurs interrogés y déclarent aussi qu’il est important pour eux de parler aux médias, et 71% croient que le public a «un peu» ou «beaucoup» d’intérêt dans leur spécialité.

Alors comment les convaincre de surmonter leurs blocages personnels? Claire Wang renchérit : «si nous attendons d’avoir la preuve parfaite, nous attendrons toujours».

Y allant d’une réflexion similaire le 9 février, l’économiste de l’environnement Andrew Hoffman fait remonter cette réticence des chercheurs à... 1963. Il cite une lettre publiée cette année-là dans Science par Bernard K. Forscher sur le «mur de briques» qu’ont élevé les universitaires tout autour d’eux: ils seraient devenus obsédés par l’idée d’accumuler des connaissances —les briques— mais beaucoup moins par l’idée de leur donner un sens. En un sens, conclut Hoffman, «la construction du mur de briques est devenue une fin en soi».

Or, se taire n’est jamais sans conséquences, poursuit Wang: c'est céder alors la place «à ceux qui ont les poches les plus profondes ou dont la voix porte le plus loin». Par exemple, l’industrie des boissons gazeuses qui a dépensé plus de 10 millions$ pour convaincre les électeurs californiens de s’opposer à une législation sur les boissons sucrées.

Ou pire encore, à une certaine Jenny McCarthy, actrice de son état et chantre de l'anti-vaccination...

Andrew Hoffman a lui aussi une étude à citer: une enquête de l’Université du Michigan qui, en 2013, a conclu que 66% des universitaires croyaient que l’implication sociale était complémentaire à leur travail de recherche, 41% croyaient qu’elle prenait trop de temps et les distrayait de leur travail, et 34% considéraient qu’elle était «dangereuse».

De l’avis d’Hoffman, c’est plutôt cette idée voulant qu’il soit dangereux d’intervenir parce qu’on craint d’être mal cité, qui est dangereuse.

Une des raisons (parmi plusieurs) pour lesquelles le discours public sur les enjeux scientifiques de nos jours est devenu si confus, c’est que trop d’universitaires [...] ne voient pas leur rôle comme un participant de la participation publique dans la prise de décision, à travers des assemblées délibératives; ils ne croient pas qu’il y a des bénéfices personnels pour eux de s’investir dans de telles activités.

Les sciences sociales sont-elles plus propices à une implication sociale ? Chose certaine, en Grande-Bretagne, une campagne pour les sciences sociales vient de publier un rapport The Business of People (profitant de l’approche des élections là-bas), rapport entre autres consacré à l’idée que les universitaires se doivent de «s’engager» davantage. Le climat politique leur serait plus favorable —sans parler des outils technologiques comme les blogues ou Twitter.

Quant à Claire Wang, elle se rappelle avoir conclu il y a trois ans que sa participation à ce Comité de la santé comportait des risques, mais que de rester dans sa tour d’ivoire en comportait encore plus. Et qu’au final, elle a aimé : «ce n’était pas du tout aussi intimidant que je le craignais».

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