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Les plus récentes projections démographiques de la Division des populations des Nations Unies ont été reprises un peu partout dans les dernières semaines, y compris sur le site que vous consultez. Au cours de l’année 2011, la population mondiale franchira le cap des 7 milliards. Et vers 2050, nous serons très probablement 9 milliards d’êtres humains sur Terre. Pour de nombreux scientifiques, ces prévisions sont inquiétantes et devraient nous obliger à nous poser cette question que l’on voit surgir de plus en plus dans les médias et blogues : la Terre pourra-t-elle supporter ces 9 milliards d’êtres humains ?

Matière(s) à inquiétude

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Alors, de quoi s’inquiète-t-on au juste ? Car il y a bien matière à inquiétude, nous disent ces scientifiques : ces 9 milliards d’humains constituent une menace sérieuse qu’il faut cerner dès aujourd’hui, pour pouvoir mieux la conjurer demain. Une menace non pas tant pour la Terre elle-même, ni même pour la vie terrestre, mais bien davantage pour ce que l’une et l’autre ont rendu possible par leur longue évolution : la diversité des vivants, c’est-à-dire des formes de vie qui se sont développées sur Terre au fil des temps géologiques.

Ce sont ces vivants — individus et espèces — qui sont directement menacés par l’explosion démographique mondiale qui a cours depuis environ deux siècles. En fait, parler ici d’une « menace » constitue pour ainsi dire un euphémisme : la disparition massive d’espèces vivantes n’est plus un risque hypothétique, mais bien un fait avéré. Des centaines, voire des milliers d’espèces disparaissent chaque année, un taux d’extinction sans précédent dans l’histoire du vivant (de 100 à 10 000 fois supérieur au taux naturel), selon plusieurs scientifiques. Certains avancent même que d’ici 2030, environ un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait avoir disparu de notre planète.

L’inquiétude écologique

Les principales causes de ces disparitions sont bien connues et pourraient se résumer en un seul mot : humain. Ou plus précisément, et en quelques mots : la destruction massive des écosystèmes terrestres et aquatiques du fait des activités économiques humaines (agriculture, pêche, etc.).

Car pour leur survie, les vivants dépendent étroitement les uns des autres, ainsi que du milieu physique et chimique (biotope) dans lequel ils évoluent. C’est ce réseau d’interdépendances, d’interrelations et d’interactions que l’on nomme écosystème. Lorsque cet équilibre fragile est rompu artificiellement sous l’effet d’une action extérieure plus ou moins soudaine (par ex. : construction d’un barrage, conversion d’une forêt en terres agricoles, pêches industrielles...), les vivants qui composent l’écosystème se voient inévitablement menacés : à défaut de pouvoir s’adapter, ils disparaitront.

Alors, en quoi une population mondiale de 9 milliards d’humains devrait-elle nous inquiéter ? L’aspect écologique de cette inquiétude pourrait être exprimé par une simple — et funeste — équation : croissance démographique = croissance de l’activité économique (pour répondre aux « besoins » de tous les nouveaux humains) = davantage d’écosystèmes détruits ou fragilisés...

Une inquiétude qui en cache une autre ?

Mais est-ce bien là vraiment ce dont on s’inquiète ? Après tout, l’humain a toujours modifié et détruit des écosystèmes pour répondre à ses divers « besoins », et ce, sans vraiment s’en soucier. Pourquoi la destruction des écosystèmes et la disparition des espèces devraient-elles donc nous inquiéter autant aujourd’hui ?

Une inquiétude peut parfois en cacher une autre... Et c’est peut-être le cas lorsqu’on s’inquiète ainsi du déclin de la biodiversité ou de la disparition des espèces. Comme si l’on savait intimement que ces menaces nous concernaient au fond de beaucoup plus près qu’on ne veut bien le penser.

Car l’être humain ne fait pas que détruire les écosystèmes de la biosphère. Il en fait aussi et d’abord partie intégrante, en tant qu’il est lui-même une espèce vivante. Il dépend donc lui aussi, pour sa survie, des autres espèces et des écosystèmes planétaires. La biosphère — et la diversité des écosystèmes qui la composent — constitue non pas tant l’«environnement» de l’homo sapiens, mais bien davantage son milieu de vie immédiat, sa demeure (ce que les Grecs appelaient l’Oikos, c’est-à-dire l’« éco » de l’écologie... et de l’économie).

En fragilisant ou détruisant la biosphère, c’est donc sa propre demeure que l’humain fragilise et détruit. Et c’est sa propre existence d’être vivant qui s’en verra ultimement menacée. Son existence non seulement biologique, mais aussi « ontologique », diraient les philosophes : car l’humain dépend certes des autres espèces pour sa survie, mais il en dépend aussi pour sa compréhension de lui-même, de ce qu’il est, bref : de son être. C’est notamment dans son rapport aux autres espèces qu’il peut se définir, se comprendre et donner un sens à son existence d’être vivant, en tant qu’il est lui-même un « produit » de l’évolution des espèces.

Avec les autres espèces, l’humain partage donc beaucoup plus que certaines caractéristiques propres au vivant. Il partage aussi avec elles des ancêtres communs, une origine commune. L’origine de la vie sur la Terre.

Menaces dans la demeure

La Terre pourra-t-elle supporter 9 milliards d’êtres humains ? Ainsi formulée, la question prête peut-être à confusion. Car ce n’est évidemment pas tant de la Terre — ou de la vie — dont on s’inquiète ultimement, ni peut-être même des autres vivants, mais bien de nous-mêmes et de notre avenir. Avec raison, sans doute. Car la croissance actuelle de la population mondiale viendra inévitablement poser de nombreux et sérieux défis à l’humanité. Écologiques et environnementaux, certes, mais aussi sociaux, économiques et — donc — politiques. Autant d’aspects de cette « menace 9 milliards » que notre équipe de blogueurs aura l’occasion d’explorer au cours des prochaines semaines.

En attendant, et pour orienter nos réflexions, on pourra retenir au moins ceci : ce n’est pas la Terre elle-même qui est menacée par ces « 9 milliards », mais ce sont les terriens. C’est-à-dire tous les vivants, humains et non humains, qui habitent cette Terre, qui y ont fait leur demeure. C’est d’eux dont il faudra s’inquiéter. Et c’est donc peut-être de nouvelles questions qui appellent être posées :

• D’abord une question « écologique » : ces terriens non humains pourront-ils encore nous supporter lorsque nous serons 9 milliards... ou leur serons-nous devenus tout simplement « insupportables », au point de nous mettre nous-mêmes en danger ?

• Et aussi une question socioéconomique et « cosmopolitique » : nous, terriens humains, pourrons-nous encore nous supporter les uns les autres lorsque nous serons 9 milliards ?

Il est certainement temps de chercher des réponses à ces questions.

LCR

Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.

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