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Johanna Arnet a de bons mollets. L’été dernier, l’étudiante en écologie urbaine a sillonné avec son vélo le quartier Ville-Marie, au centre-ville de Montréal, pour recueillir des données sur la température urbaine.

Elle a roulé pendant des heures, de juin à septembre et de jour comme de nuit. « Je réalisais deux parcours dont un, trois heures après que le soleil se soit couché. C’est la période où l’on constate le maximum de dégagement de chaleur par les surfaces urbaines – béton et asphalte – et cela peut atteindre 58 degrés Celsius », pour la température de l’air à quelques centimètres au-dessus de ces surfaces, résume la jeune chercheuse.

L’été 2024 a été particulièrement chaud au Québec, affichant un nouveau record pour la seconde année consécutive, avec une moyenne de 2,3 degrés au-dessus de la normale.

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C’est ce qu’a constaté Johanna, perchée sur son vélo aménagé pour l’occasion avec un GPS et aussi une sonde de température, un radiomètre infrarouge et un pyranomètre thermopile – ou capteur d’irradiance, pour mesurer le rayonnement solaire.

Au cœur de la métropole, la température de l’air a varié, selon les heures et les conditions météorologiques, entre 22 et 34 degrés. Elle était souvent à plus de 27 degrés dans le Quartier des spectacles, un endroit très populaire en fin de journée en période estivale.

Johanna Arnet a ainsi amassé près de 180 000 données pour documenter comment le centre-ville peut devenir un puits de chaleur. Elle expliquait le détail de ses recherches lors d’un colloque de l’Acfas sur les « Perspectives interdisciplinaires sur l'innovation des espaces verts urbains » tenu le 5 mai à Montréal.

« Les villes sont confrontées à beaucoup de défis environnementaux. La solution passe par l’aménagement de plus d’espaces verts urbains. Il faut redonner l’accès à la nature aux citoyens, favoriser la biodiversité et aider à baisser les température des villes», expliquait la professeure en biologie de l’Université Concordia et coresponsable du colloque, Carly Ziter.

Dans son laboratoire, elle documente les nombreux avantages des actions entreprises, comme les ruelles vertes, afin de soutenir les efforts des autorités municipales. 

L’une de ses préoccupations concerne l’inéquité des répercussions des changements climatiques et de la perte de biodiversité en ville. «Il faut offrir les bénéfices de la nature à ceux qui en ont le plus besoin », relève la Pre Ziter.

Les populations les plus pauvre et marginalisées sont en effet celles qui subissent le plus fréquemment les problèmes liés aux perturbations, ce qui affecte leur santé, comme l’ont montré de nombreuses études. Là où ils habitent, il y plus de chaleur, moins de parcs et moins d’arbres.

Un besoin citoyen

Pour mieux cerner les besoins des urbains, l’étudiante de l’Université Concorrdia, Sarah Chamberland-Fontaine, passe par le jeu vidéo : « Nous voulons mieux connaître les préférences des gens en terme de végétation et d’aménagement paysager. »

Le jeu développé par son équipe offre de concevoir son espace vert idéal à partir d’un terrain vierge où l’on place des arbres de 16 différentes espèces et hauteurs, ainsi que des arbustes et des fleurs.

Testé sur une quarantaine d’étudiants du cégep, cette opération de verdissement d’un terrain de 100 m2 informe les chercheurs sur les préférences mais aussi les limites en matière d’aménagement. « Il n’y a pas de mauvais choix, mais cela dit beaucoup sur la situation de départ du joueur. Voudra-t-il compenser le manque d’espace vert de son quartier ou reproduira-t-il ce qu’il observe autour de lui? », note l’étudiante.

Une autre étudiante de la Pre Ziter, Isabella Richmond, tente de cerner les motivations des citoyens de Montréal et de Trois-Rivières. Quels efforts sont-ils prêts à mettre et que recherchent-ils?  

« Les citoyens veulent tous de gros arbres matures – mais cela prend du temps, ce n’est pas instantané – et des parterres fleuris. Les arbres fruitiers sont aussi populaires », remarque la jeune chercheuse.

Les urbains sont, de plus, avides d’avoir une ruelle verte derrière chez eux, particulièrement lorsque le quartier manque de parcs et d’espaces verts. Montréal avec ses 400 ruelles vertes, contre 13 à Trois-Rivières, montre l’exemple.

Une nature qui grouille

Sous les pelouses des villes, la nature grouille lorsque le sol est en santé. Pour cela, espacer les tontes et varier la végétation s’avère gagnant. 

Et comme 20% de la végétation montréalaise est de la pelouse, ça vaut la peine. « Il y aura moins de compactage, plus de recyclage de nutriments, plus de diversité de la microfaune, le maintien d’une température plus fraiche. Juste réduire la tonte en laissant pousser l’herbe jusqu’à au moins 30 cm, cela modifie la qualité du sol et la variété de la microfaune », explique la doctorante de l’UQAM, Laura Jeanne Raymond-Léonard.

Ses travaux montrent que l’on retrouve 32 espèces de plus – soit 113 – dans le sol des 18 zones non-tondues des parcs de Rosemont-Petite-Patrie, à Montréal, par rapport aux 10 zones tondues.

« Carabes, collemboles, araignées, vers et autres fourmis, toute la microfaune en bénéficie. Réduire la tonte offre des sols plus vivants et en santé dès la 2e année », annonce la chercheuse.

Les zones qui n’avaient pas connu de coupe depuis plus de 10 ans, étaient encore plus accueillantes pour la vie minuscule, jusqu’aux acariens, nématodes, bactéries et champignons.

Mme Raymond-Léonard recommande aux citoyens qui ont des terrains de laisser 30% vierge de toute tonte. « Le frein est principalement l’acceptabilité sociale. Les gens craignent de voir des tiques ou des rongeurs, mais c’est toute une communauté qui disparait avec l’herbe. »

Les araignées seront les premiers insectes prédicateurs de la santé des sols, tout comme les petits collemboles – une classe d’arthropodes que l’étudiante chérit tout particulièrement – des décomposeurs très sensibles aux changements environnementaux.

« Il faut se mettre à l’échelle d’un insecte pour aménager la ville. C’est la meilleure manière d’avoir un meilleur impact pour les animaux et donc, pour les humains », pense même Jérémy Fraysse, étudiant au doctorat à la Chaire sur la forêt urbaine de l’UQAM.

Il s’intéresse pour sa part, depuis trois ans, aux insectes volants des villes : scarabées, mouches et autres bourdons.

Trois ordres dominent en ville : les coléoptères (coccinelles, scarabées), les hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis, frelons) et les diptères (mouches, moustiques, etc.). « Ce sont 75% des insectes urbains et de bons indicateurs pour des écosystèmes diversifiés », note-t-il.

Pour distinguer plus finement ces insectes urbains, il a posé des pièges colorés remplis d’eau savonneuse pendant 48 heures à divers endroits de la ville. Avec les insectes piégés, il a procédé à une sorte de grande « soupe » afin de réaliser une analyse moléculaire et les séquencer - c’est ce qu’on appelle une analyse de l’ADN environnemental.

Cela lui a permis d’identifier plus de 1000 espèces. Par contre, certaines nuisent à la diversité entomologique urbaine.

« Il y a énormément d’abeilles domestiques à Montréal, résultat d’une campagne en faveur des pollinisateurs et de l’implantation d’une multitudes de ruches urbaines. On a créé ainsi un problème inédit, en cherchant à aider la nature », relève le chercheur.

Ses travaux de biogéographie montrent que les parcs aux formes moins régulières facilitent aussi les déplacements de ces insectes. Tout comme  des efforts de verdissement de la ville: Montréal a lancé des initiatives pour renforcer sa canopée mais aussi fleurir les carrés d’arbres au centre-ville, comme sur la très commerçante rue Sainte-Catherine.

« La ville devient ainsi un refuge pour les insectes en leur offrant des couloirs de végétations où ils peuvent se déplacer », explique le jeune chercheur.

Loin des insecticides des zones agricoles périurbaines, ils s’y plairaient même beaucoup. Les insectes formeraient d’ailleurs près de 50 % de la biodiversité urbaine, selon une récente étude américaine.  

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