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Comme chaque année, elle se fait bien discrète. Trop discrète. Au point de passer souvent inaperçue. C’était mardi dernier, le 22 mars. Une journée comme les autres, pour la plupart d’entre nous. Une journée au cours de laquelle le « Québécois moyen », en vaquant à ses occupations ordinaires, a consommé près de 400 litres d’eau. Environ 70 de plus que son voisin, le « Canadien moyen ». Et quelque... 380 de plus que son ami antillais, l’« Haïtien moyen ».

Pendant les 24 petites heures de cette journée comme les autres, alors que nos robinets coulaient à flots, plus de 21 000 êtres humains sont morts de maladies dites « hydriques », c’est-à-dire directement attribuables à la consommation d’eau insalubre. Soit 15 personnes par minute. À toutes les minutes de cette journée « comme les autres ».

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C’est notamment pour attirer l’attention sur cette injustice que les Nations Unies ont fait de cette journée bien « ordinaire » la Journée mondiale de l’eau. Malgré les fameux « Objectifs du Millénaire » qu’elles s’étaient donnés en 2000 — elles comptaient réduire de moitié, d’ici 2015, le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable —, le problème est bien loin d’être réglé. Et il pourrait même prendre des proportions encore plus inquiétantes dans les prochaines décennies, alors que la population mondiale continuera à augmenter pour atteindre, vers 2050, les 9 milliards. Pendant ce temps, la quantité d’eau potable disponible sur notre planète, elle, n’augmentera pas...

Avoir soif sur une planète bleue

L’Organisation des Nations unies pour l'eau (ONU-Eau) prévoit que, d’ici 2025, près de deux milliards d’êtres humains vivront dans des pays ou régions touchées par « des pénuries absolues d’eau douce ». Déjà aujourd’hui, ce sont près d’un milliard de personnes qui, dans le monde, n’ont pas accès à l’eau potable.

Comment de telles pénuries sont-elles possibles sur une « planète bleue », dont la surface est recouverte d’eau à plus de 70 % ? Évidemment, de toute l’eau qui se trouve sur notre planète — plus d’un milliard de kilomètres cubes ! —, seule une petite partie (moins de 3 %) est de l’eau douce. Et ce n’est pas parce qu’elle est douce qu’elle est pour autant accessible et disponible... En fait, plus des deux tiers de cette eau douce reste « prisonnière » des glaciers et calottes glacières. De sorte qu’au final, l’eau douce accessible représente moins de 1 % de toute l’eau présente sur notre planète. Soit 200 000 km3.

Deux cent mille kilomètres cubes. C’est là la réserve d’eau douce dont nous disposons. Et ce sera aussi, plus ou moins, la réserve dont nous disposerons dans 40 ans, lorsque nous serons 9 milliards d’humains sur Terre. Une réserve d’or bleu que nous devrons non seulement partager entre nous, humains, mais aussi — il ne faut pas les oublier — avec tous les autres êtres vivants qui peuplent notre planète et qui ont, eux aussi, besoin d’eau douce pour vivre...

Une réserve suffisante ?

Deux cent mille kilomètres cubes. Cela peut sembler bien peu. Mais la question n’est pas tant de savoir si c’est peu ou beaucoup — ce qui est bien relatif —, mais surtout de savoir si cette quantité d’eau pourra être suffisante pour répondre aux besoins de tous ces terriens, humains et non humains.

Drôle de question à poser, lorsque l'on sait qu’aujourd’hui même, près d’un milliard d’humains n’ont pas accès à l’eau potable. Si notre réserve d’eau douce est déjà insuffisante aujourd’hui, comment pourrait-elle suffire à nos besoins en 2050, lorsque nous serons 9 milliards... ?

Et pourtant... l’ONU est sans équivoque : la quantité d’eau douce disponible sur notre planète est suffisante pour répondre aux besoins de tous les êtres humains — qu’ils soient 7, 8 ou 9 milliards... Le problème — actuel et à venir —, ce n’est pas tant la quantité d’eau dont nous disposons, mais bien l’accès inégal à cette ressource de plus en plus rare et précieuse, ainsi que sa distribution géographique inéquitable. Précisément ce qui explique qu’un Québécois moyen peut « pomper » allègrement 400 litres d’eau en 24 heures, pendant qu’un Haïtien ou un Malien se démènera pour en trouver, de peine et de misère, une vingtaine de litres.

On estime généralement que la quantité d’eau nécessaire pour répondre aux divers besoins d’un être humain est, dans des conditions optimales, d’environ 50 litres par jour. Si la ressource était mieux gérée et distribuée, on peut donc penser que notre réserve serait suffisante. Largement suffisante.

L’eau et... l’argent « liquide » : clés de voûte du développement

Alors, quelles sont les solutions ? Il ne s’agit peut-être pas de remplir bouteilles et bidons pour les envoyer dans les régions en proie à des pénuries d’eau douce. Pas pour l’instant du moins... Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans plusieurs de ces régions où l’eau manque... en réalité, l’eau ne manque pas. Ce qui manque cruellement, bien souvent, ce n’est pas l’eau elle-même, mais ce sont plutôt les infrastructures qui permettraient d’y avoir accès, de la traiter et de la distribuer.

C’est pourquoi l’ONU demande à ses membres de l’argent — liquide ! — plutôt que des bouteilles d’eau ou... de l’« argent promis » mais jamais décaissé. Quelque 1,22 milliard de dollars par an : c’est la somme qu’elle réclame depuis plusieurs années pour pouvoir atteindre l’Objectif du Millénaire fixé en 2000. Un bien petit investissement si l’on considère les bénéfices énormes — et variés — qu’il pourrait rapporter.

Car l’accès à l’eau douce permet de résoudre bien d’autres problèmes que ceux de la « soif », de l’insalubrité et des maladies hydriques. En plus d’être bue et utilisée à des fins domestiques, cette eau douce sert aussi et surtout à des fins agricoles. C’est ce que les spécialistes appellent une eau productive — une eau qui permet de générer d’autres ressources (notamment alimentaires), ainsi que des emplois et des revenus. Une eau qui peut donc contribuer à faire reculer la pauvreté endémique, la malnutrition et la famine.

On comprend donc pourquoi l’accès à l’eau ne sera pas seulement l’un des enjeux géopolitiques et géoéconomiques les plus importants du 21e siècle, mais sera aussi la clé de voûte du développement socioéconomique et humain pour les prochaines décennies.

Et c’est aussi pourquoi il faut repenser l’utilisation que nous faisons de cette précieuse ressource. Pour mieux la protéger et la distribuer.

Et pour que demain ne soit pas une autre journée « comme les autres »...

LCR

Hyperliens externes :

  • « Découvrir l’eau » . Une animation Flash conçue par l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui explique les liens étroits entre l’accès à l’eau, l’agriculture, la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté (en anglais seulement).

Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.

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