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Quels médicaments pourraient se retrouver dans l'environnement?

Par le Dr Sébastien Sauvé, membre du cercle scientifique de la Fondation David Suzuki.

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Les médicaments qu'on retrouve en pharmacie peuvent tous se retrouver dans l'environnement. Dans une mesure limitée, il peut y avoir des rejets aux points de production industrielle des médicaments, mais sauf en cas de lacunes réglementaires, cette voie de contamination est généralement minimale. On s'inquiète aussi de la vidange des médicaments non consommés dans les toilettes, mais on estime généralement que moins de 10 % des médicaments consommés sont ainsi jetés. Je me permets de souligner l'importance de rapporter les médicaments non utilisés à la pharmacie pour qu'ils puissent ainsi être détruits convenablement.

La contamination de l'environnement par les médicaments vient donc principalement de leur consommation par les humains ou par les animaux. Les gens qui consomment des médicaments vont en rejeter une portion significative intacte ou transformée à travers l'urine et les selles. Des quantités très significatives de plusieurs médicaments et de leurs métabolites se retrouvent dans les égouts et vont transiter vers les stations d'épuration urbaines avant d'être ensuite rejetées dans les cours d'eau environnants. On obtient une situation similaire en milieu agricole pour l'utilisation vétérinaire des médicaments sur les animaux malades, par contre, cet usage plus restreint est sûrement moins dommageable que les immenses quantités de médicaments qui sont utilisés de façon prophylactique à grande échelle pour accélérer la croissance du bétail, des volailles ou encore en aquaculture. Inscrivez-vous à notre bulletin

La (sur)consommation de médicaments envoie donc beaucoup de molécules avec une activité biologique très significative (elles sont conçues pour ça!) dans nos réseaux d'égouts. Pour estimer quelles sortes de médicaments sont les plus susceptibles de se retrouver dans l'environnement, on peut se baser sur les données de compilation de consommation, ce qui est vendu en pharmacie ou utilisé en milieu hospitalier. L'autre aspect important pour identifier quels médicaments seront présents dans l'environnement est de considérer leur potentiel pour la dégradation biologique ou biochimique dans l'environnement. On retrouve donc certainement les médicaments les plus consommés en plus grandes quantités que les moins « populaires ». Par contre, on note aussi une persistance très significative dans l'environnement pour des médicaments à usage plus limité, mais qui ont une structure moléculaire réfractaire à la dégradation. Inversement, certains médicaments utilisés couramment sont aussi difficiles à détecter parce qu'ils se dégradent très facilement.

S'il n'y a pas de fuites directement vers les cours d'eau (quand le réseau est surchargé, il débordera — lors de fortes pluies notamment), les eaux d'égout transitent normalement vers une station d'épuration. Ces stations ont été conçues principalement pour enlever une portion des matières en suspension ainsi que pour diminuer les concentrations de phosphates. Comme les systèmes de traitement n'ont pas été conçus pour enlever les médicaments, dans la majorité des cas, les niveaux d'abattement sont plutôt modestes. Les concentrations de médicaments qu'on retrouve dans les eaux d'égout sont donc le reflet de notre société; analgésiques, anti-inflammatoires, anti-hypertensifs, médicaments pour réduire le cholestérol, antidépresseurs, antibiotiques, diverses hormones, produits cytostatiques utilisés en chimiothérapie, agents de contraste en imagerie médicale, tous les médicaments que nous consommons peuvent s'y retrouver.

Malheureusement, le traitement des eaux d'égout a une efficacité limitée pour éliminer les médicaments. Une portion peut être partiellement retenue par le traitement qui vise à réduire les matières en suspension. Par contre, un traitement basé principalement sur la floculation n'aura qu'une efficacité très limitée, voire nulle, sur l'enlèvement de molécules comme la plupart des antibiotiques, des antidépresseurs ou des produits de chimiothérapie.

Il faut tout de même souligner que pour la plupart des médicaments, les concentrations qu'on retrouve dans l'eau d'égout ou dans les effluents sont très faibles, on parle de nanogrammes par litre, selon les composés et leur consommation. Quelques dizaines de nanogrammes par litre sont à peu près équivalentes à un "sachet de sucre dilué dans un stade sportif". Par contre, les rejets urbains dans les cours d'eau sont habituellement en amont d'une autre municipalité qui y puise son eau potable. Ces faibles concentrations de médicaments rejetés par les effluents urbains contribuent donc à augmenter leur présence dans l'eau potable. Malgré tout, en consommant deux litres d'eau par jour pendant 70 ans, on ne serait exposé qu'à une fraction de la dose quotidienne recommandée pour une majorité de médicaments, l'équivalent d'un fragment d'un seul comprimé. Donc, à priori, nous n'avons pas trop à nous inquiéter pour les médicaments usuels. Même si les effets d'une exposition chronique à une faible concentration d'une multitude de médicaments ne sont pas connus, certains effets à de faibles doses ont été observés lors de tests réalisés sur des animaux et il est clairement démontré dans la littérature scientifique que les interactions médicamenteuses peuvent décupler leurs effets. Nous sommes donc les cobayes d'une expérience à très grande échelle avec une exposition chronique à de très faibles doses. Pour le moment on ne peut démontrer d'effets probants chez l'humain. Par contre, les effets environnementaux pour certaines gammes de médicaments sont clairs.

Par exemple, la station d'épuration de la ville de Montréal utilise un traitement physicochimique basé principalement sur la floculation qui fonctionne très bien pour respecter les normes de matières en suspension et de phosphates. Par contre, ce même traitement ne permet un enlèvement que d'environ 0 à 30 % des antibiotiques ou des antidépresseurs. On estime donc que les rejets annuels d'antibiotiques par Montréal sont de l'ordre d'une tonne de molécules actives qui sont rejetées directement dans le fleuve, chaque année. Un autre exemple de composés problématiques concerne les hormones. Dans ce cas, le problème est que les poissons sont extrêmement sensibles. Une concentration aussi basse qu'un seul nanogramme par litre suffit à provoquer une féminisation permanente des alevins et dans ces situations, il suffit d'une seule génération pour obtenir une disparition systématique des populations de poissons exposés en milieu expérimental. On observe aussi des transformations physiologiques de féminisation partielle ou complète de poissons « mâles » recueillis dans les panaches d'effluents municipaux.

Quelle est la contribution des traces d'hormones présentes dans l'eau potable aux divers problèmes de perturbation endocrinienne dont les humains sont victimes? La sévérité du problème des perturbateurs endocriniens chez l'humain est on ne peut plus claire dans la littérature scientifique (perte de fertilité masculine, puberté féminine précoce, divers problèmes de fertilité). Par contre, identifier la source du problème est un défi majeur, car il est très difficile de cerner la contribution des hormones présentes dans l'eau potable vis-à-vis des traces qu'on retrouve dans la nourriture. Comment départager si le problème vient des traces d'hormones dans l'eau potable, d'autres médicaments, des pesticides, ou autres composés des organochlorés, des plastifiants, des agents ignifuges polybromés, etc?

Une des solutions est d'améliorer les filières de traitement. En améliorant les usines d'épuration d'eaux usées, on diminuera ce qui est rejeté dans l'environnement. On aidera aussi en diminuant ainsi la charge de contaminants que les traitements d'eau potable ont besoin de retirer. On fait certainement un meilleur effort pour traiter notre eau potable, mais on doit viser les deux fronts, si on veut protéger notre environnement et notre santé!

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