Humain

Une étude scientifique a pointé l'importance d'une mutation dans le développement du cerveau humain. Comme trop souvent, le journalisme tombe dans le travers sensationnaliste d'expliquer un caractère complexe par l'action d'un unique gène.

Le 7 décembre 2016, Science Advances publie un article. Dans l'idée, son titre peut être traduit par : une simple mutation est à l'origine d'une amplification d'un des mécanismes de prolifération des neurones.

Une mutation d'importance

La mutation en question consiste en la substitution d’un acide nucléique par un autre dans le code formé par l'ADN. Elle est présente chez les humains modernes, ainsi que les Néandertaliens et les Dénisoviens. Le gène la portant serait apparu après que la lignée des homininés a divergé de celle des chimpanzés.

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Des tests sur des souris embryonnaires ont confirmé le rôle de cette version du gène dans la forte croissance du cortex. Grâce à la prolifération de neurones à laquelle elle participe, le cerveau en devient plissé à l’intérieur de la boîte crânienne humaine.

Cette mutation aurait donné un avantage sélectif tel qu'il a conduit à sa propagation au cours des générations dans la population humaine.

Une mutation parmi d'autres

De même qu'être humain ne se résume pas à un seul caractère, que ce soit la création d'outils, le langage ou les pouces opposables, la vie ne se résume pas à l'ADN. L'article Les X-Men soulève des questions sur l'origine des mutations génétiques, au titre nuancé vous l'aurez remarqué, critique l'idée moderne selon laquelle l'ADN est la cause unique de l'évolution.

Il est fondamental de garder à l'esprit que, qu'elles aient un impact mineur ou majeur dans notre phénotype, les mutations n'existent pas toutes seules. Les souris étudiées par les chercheurs ont reçu cette mutation, sont-elles humaines ? Non. Les programmes informatiques utilisés pour de telles recherches contiennent la mutation, sont-ils humains ? Non. Mon article contient cette mutation dans son texte, est-il humain ? Non. Les mutations font partie d'un ensemble de caractéristiques, dont la combinaison fait de nous des êtres humains.

Une mutation peut toucher des gènes architectes, ce qui mène à de grands changements phénotypiques comme avec cet exemple de prolifération de neurones. Mais ce nouvel agencement ne sort pas de nulle part et s'intègre dans le cadre d'une multitude de gènes, ne serait-ce que ceux qui permettent de créer et nourrir les neurones.

Dès qu'un article étudie l'impact de tel ou tel gène sur tel ou tel mécanisme de construction cérébrale, comme celui-ci qui a le culot de nous parler de « gènes de l'intelligence », il faut donc arrêter de se focaliser sur ce seul gène. À force d'avoir des mutations à l'origine de l'intelligence, il faut au contraire montrer que l'origine de l'intelligence est multiple et que n'importe quelle mutation, même d'importance, est une mutation parmi d'autres qui s'inscrit dans un cadre global.

La parenthèse Stephen Jay Gould

Vu que l'origine d'un caractère comme l'intelligence est multigénique, il n'est pas possible de définir avec précision un moment à partir duquel on est devenu humain. De la même manière qu'il n'est pas possible de définir avec précision LE moment qui sépare le jour de la nuit, alors que différencier le jour de la nuit est aussi simple que différencier un animal humain d'un autre (cette parenthèse vous est offerte par le paléontologue et médiateur scientifique Stephen Jay Gould).

Pour avoir lu des livres de Stephen Jay Gould et avoir participé au MOOC Le langage, entre nature et culture, je m'intéresse beaucoup à l'hypothèse selon laquelle le développement de notre cerveau est une exaptation. Plus précisément, la bipédie dans le cadre de l'anatomie humaine a permis le développement de caractères comme le langage ou la capacité d'abstraction.

En termes de cause, la taille de notre cerveau est ainsi un petit truc en plus, qui a été permis par l'agencement heureux de diverses adaptations. C'est en termes de conséquences que ces évolutions ont leur importance, puisque c'est grâce à elles [ne pas oublier d'insérer ici les nuances nécessaires] que nous sommes devenus des animaux civilisationnels.

Bref.

Maintenant que j'ai donné mon avis sur les bonnes formulations à utiliser quand on parle de ces sujets scientifiques, voici les deux articles qui m'ont donné envie d'écrire ce billet.

Les mauvaises formulations, première manche : « Et paf, ça fait un être humain »

Dans La mutation qui a engendré notre cerveau (Le Devoir, 13 décembre 2016), tout commence mal.

Une étude montre qu’un changement dans l’ADN du génome humain a permis à l’intelligence supérieure de l’Homo sapiens sapiens d’apparaître.

Remarquons d'abord qu'il faudrait définir ce que l'on entend avec le mot intelligence avant d'y adjoindre l'adjectif supérieure dans ses chapeaux, même si au moins l'écriture inclusive nous a épargné le trop fameux « l'intelligence supérieure de l'homme ».

C'est surtout le a permis qui pose question. Il est juste de dire que cette mutation a permis à l'intelligence d'humaine d'émerger, puisqu'elle participe aux mécanismes biologiques qui la sous-tendent. Cependant, il n'est pas pertinent de se focaliser sur une seule mutation alors qu'elle n'a permis que dans un ensemble de mécanismes. Et vu que ça mène à titrer l'idée fausse selon laquelle une mutation toute seule donne le cerveau, c'est très mauvais.

Pourtant, à la fin, l'article se « rattrape » :

Il est toutefois fort probable que cette petite mutation soit l’une parmi de nombreuses autres qui ont donné aux humains leur intelligence unique.

Le mot unique a les mêmes relents nauséabonds que la phrase du chapeau, mais la formulation présente une nuance juste. Dommage que ce ne soit qu'à la fin. C'est ce que j'appelle « l'effet Sciences et vie » : les titres et les chapeaux racontent n'importe quoi, seules les quelques personnes qui lisent l'article jusqu'au bout en retenant ces « détails » ont les informations correctes.

(Ici, je me contente d'écrire que le sensationnalisme participe au mauvais journalisme. Quand je suis énervé à force d'en voir trop d'un coup, en revanche, je parle de désinformation et d'obscurantisme.)

Les mauvaises formulations, deuxième manche : « Et paf, ça fait un être humain »

Dans Le moment où nous sommes devenus humains (Pour la Science, 7 février 2017), on observe l'effet inverse, tout aussi agaçant. Grâce à l'image du monolithe du film 2001, l'odyssée de l'espace, l'article commence par une bonne analyse de cette idée fausse intégrée dans notre imaginaire :

Celle d'un déclic qui a aiguillé notre espèce sur ses rails actuels.

Hélas, après avoir pointé ce piège de la pensée, l'article saute à pieds joints dedans avec un bon petit :

Ce ne sont pas encore des Homo sapiens. Il leur manque un déclic pour maîtriser l’abstraction et les notions complexes. Et puis, ce déclic se produit.

Et ça, c'est avant le fabuleux intertitre :

La mutation qui a tout changé


À quand la mutation qui nous fera écrire des articles rigoureux et des titres justes ?

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