Virage numérique : 6 acteurs incontournables

Santé connectée, e-santé, m-santé, télésanté, télémédecine… Révolution numérique oblige, la terminologie médicale s’enrichit de nouveaux vocables pour désigner ces réalités — ou potentialités — qu’apportent l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le secteur de santé.

** La version originale de ce texte a d'abord été publiée sur le site e-santé communication

Il est encore difficile, à ce jour, d’établir une cartographie sémantique précise de ce que recouvrent ces différents termes, ce qui peut créer une certaine confusion. Pour les besoins de cet article, nous utiliserons « santé numérique », tel que défini par Inforoute Santé Canada :

La santé numérique désigne l’utilisation d’outils, de services et de méthodes électroniques et informatiques pour assurer la prestation des services de santé ou pour simplement favoriser une meilleure santé. (1)

En apparence simple, cette prémisse soulève toutefois des enjeux complexes et nécessite, pour son déploiement, de mobiliser de multiples acteurs pour en garantir le succès. En effet, située au confluent d’une triple transformation (CNOM, 2015), la santé numérique repose sur des changements d’ordre :

  • sociologique, qui s’incarnent notamment par l’empowerment du patient;
  • technologique (croissance exponentielle d’innovations tels que capteurs, objets connectés, appareils mobiles intelligents);
  • politico-économique, essentiellement centrés sur la recherche de solutions pour optimiser la qualité et l’efficience des systèmes de santé.

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Dans ce contexte, on peut donc s’attendre à ce que les besoins, attentes et objectifs visés par l’implantation de la santé numérique varient selon les perspectives de différents acteurs clé tels que, en tout premier lieu, patients et soignants, mais également décideurs, assureurs, investisseurs et hôpitaux/réseaux de santé.

Les patients

Le virage numérique doit demeurer centré sur les réels besoins des patients, à commencer par une meilleure accessibilité aux soignants, notamment par une prise de rendez-vous facilitée par des plateformes en ligne et des services de téléconsultation ou de transmission d’informations biométriques (par exemple, tension artérielle) dans le contexte d’un éloignement géographique ou d’une mobilité réduite.

L’accès aux données du dossier médical informatisé demeure également un enjeu majeur, de nombreux patients souhaitant avoir une meilleure compréhension de leur état de santé afin de mieux prendre en charge leurs soins.

Enfin, si les patients démontrent un intérêt pour divers outils de la santé numérique, ils sont toujours préoccupés par la confidentialité et les usages futurs de leur données médicales sur lesquels ils n’auraient pas de contrôle, par exemple que leurs données soient utilisées et analysées par les compagnies d’assurance qui moduleraient leurs prestations en fonction des informations recueillies sur des dispositifs connectés.

Les professionnels de santé

Améliorer la qualité des soins et l’efficience des processus sont des avantages souvent identifiés par les cliniciens (Maley et Slovesnsky, 2014), ainsi que la possibilité de traiter les données recueillies pour améliorer la prise de décision clinique (Martinez, 2012). Toutefois, le manque d’études scientifiques et médicales pour valider la précision, l’efficacité et la pertinence des applications mobiles et dispositifs de santé connectés sont tous autant de freins à leur adoption. En outre, certains soignants craignent d’être submergés de données et incapables d’en tirer des informations utiles ou appropriées (Maley et Slovesnsky, 2014).

La question de la littératie numérique doit aussi être soulevée, il faut admettre que les soignants n’ont pas tous développé des aptitudes ou un niveau d’aisance suffisant dans l’utilisation des nouvelles technologies pour être en mesure d’accompagner des patients qui souhaiteraient s’engager dans cette avenue.

Enfin, la potentielle déshumanisation des soins évoquée par des soignants relativement au déploiement de la santé numérique est l’occasion de remettre en avant-scène que le savoir-être, les qualités d’écoute et d’empathie doivent demeurer au cœur de la relation avec le patient, peu importe si les consultations se déroulent en face-à-face où à distance.

Les décideurs politiques

L’encadrement législatif est essentiel au bon développement de la santé numérique, afin de s’assurer notamment que le traitement des données soit approprié et consenti de manière éclairée par le consommateur, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement.

En outre, il est nécessaire de se pencher sur la régulation rapidement; sans mécanismes de certification, les patients, soignants et la population générale peuvent être induits en erreur quant aux allégations de santé et de bien-être d’applications mobiles et de dispositifs connectés des entreprises privées, qui peuvent s’avérer sans fondements scientifiques. Ces certifications seront-elles fixées par des autorités publiques et, le cas échéant, lesquelles? L’expérience des États-Unis et de la France démontrent la complexité et l’ampleur d’un tel mandat, auxquelles les ressources humaines et organisationnelles ne suffisent pas à la tâche.

Pour atteindre leurs objectifs de réduction des coûts et d’amélioration de l’accès et de la qualité des soins, les décideurs politiques doivent assurer un encadrement rigoureux des dispositifs de santé numérique et de leurs usages.

Les assureurs

Les assureurs souhaitent aussi être guidés dans l’élaboration de modèles de remboursement qui mobilisent des soins à distance (Maley et Slovensky, 2014). Par exemple, les compagnies d’assurances pourraient être intéressées à rembourser un dispositif connecté qui permet un meilleur contrôle de la glycémie, si son usage est associé à moins de réclamations. Le remboursement de tels dispositifs favoriserait en corollaire l’accessibilité aux dispositifs connectés, sans que le patient n’ait à débourser pour les utiliser.

Là où le bât blesse, c’est la perception du public à l’effet qu’il sera possible de communiquer de l’information susceptible de porter atteinte à la vie privée des assurés et leur porter préjudice, et de ne pas rembourser les patients qui ne seraient pas compliants ou observants, par exemple. Enfin, il est essentiel d’envisager comment mobiliser ces acteurs de manière positive et constructive dans le parcours de soin, puisqu’ils en font déjà partie.

Les investisseurs

Dans les canaux de distribution classiques, personne ou presque ne vérifie les allégations fausses ou prétendues de santé, l’efficacité, la précision, l’utilité ou encore ne prévient de mauvaises utilisations et de contre-indications liés aux applications mobiles ou dispositifs connectés. En outre, ils ne font l’objet d’un suivi que s’ils sont qualifiés de dispositifs médicaux.

Dans ce contexte, beaucoup de fabricants ne font pas de demandes pour obtenir ce statut, ce qui les obligeraient à entreprendre des démarches longues et coûteuses, et préfèrent demeurer confortablement à cheval sur la frontière floue de l’usage dit de «bien-être» (ou de divertissement – for recreational use only) et une application réellement médicale. On peut se questionner, comme le soulignait avec ironie le rédacteur en chef du iMedicaApps, une revue indépendante s’adressant aux professionnels, quelle est la part du divertissement dans une application de calculatrice médicale qui vous aide à évaluer la nécrose tubulaire aigüe d’un patient (CNOM, 2015)…

Il est donc primordial de sensibiliser les consommateurs sur les réglementations et les garanties qu’ils sont en droit d’attendre en utilisant ces applications ou dispositifs et d’encourager les fabricants et les développeurs à effectuer une meilleure gestion des données de leurs clients.

Les hôpitaux/réseaux de santé

Les hôpitaux et, plus largement les réseaux de santé, souhaitent accompagner les patients dans une démarche d’appropriation et de gestions de leurs propres soins.

Le virage numérique est séduisant en termes de réduction de coûts, mais il faut cependant conserver un système parallèle de dossiers papiers, de prises de rendez-vous par téléphone, etc. La mise en place de systèmes informatiques dans les réseaux de santé implique également un investissement plus important en termes de sécurité des données, dont l’ampleur n’est pas toujours bien évaluée au moment de l’implantation, comme il a été possible de le constater avec la récente cyberattaque Wannacry où les pirates informatiques ont exigé des rançons aux hôpitaux pour récupérer leurs données, mettant potentiellement en danger des patients en attente de chirurgies.

En conclusion

Le virage de la santé numérique pose de nombreux défis et invite à une réflexion collective sur les enjeux qu’il soulève, sans tomber dans un déterminisme technologique.  Il est essentiel de conserver à l’esprit que ces technologies doivent être au service des patients, de la relation avec les soignants et que le lien thérapeutique peut se développer et se maintenir par différentes approches, qu’elles soient de nature numérique ou en face à face. Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas mettre en opposition l’utilisation de l’Internet santé et les consultations en clinique. Elles peuvent être complémentaires, si tous les acteurs font preuve d’ouverture.

Enfin, un travail d’éducation en termes de littératies en santé et numérique doit être entrepris de manière concertée et structurée par les autorités concernées. Il est important de ne pas négliger de mieux outiller les patients et la population générale, mais aussi les soignants, à la recherche d’information santé sur le web, une porte d’entrée de premier plan et encore très fréquentée par tous les acteurs de la santé numérique.

 

 

 

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