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Pour calculer les changements climatiques à venir, on doit estimer les futures quantités de GES dans l’atmosphère, c’est-à-dire anticiper le comportement des humains: une science multidisciplinaire qui se complexifie depuis près de 30 ans.

Le GIEC[1] publie environ tous les 6 ans un rapport sur les changements climatiques. Les simulateurs informatiques utilisés requièrent certaines informations en entrée, notamment la composition de l’atmosphère. Cette dernière dépend du style de vie des humains, des politiques, de l’économie mondiale, des développements technologiques, de l’urbanisation, de l’agriculture, de la déforestation, etc. Comment les experts du GIEC estiment-ils l’évolution intriquée de ces sphères d’activité? Ils produisent un ensemble de futurs possibles en faisant le pari que la réalité se situera entre le plus optimiste et le plus pessimiste des scénarios.

La composition de l’atmosphère jusqu’à présent

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Depuis le début de l’ère industrielle, il y a un peu plus de 150 ans, les carburants fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) sont devenus essentiels à notre quotidien; leur combustion massive a beaucoup changé la composition de l’atmosphère. On note en particulier une hausse phénoménale du dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre notoire (voir figure suivante).

Concentration atmosphérique du CO2 depuis plus de 400 000 ans (en parties par million[2])

Source : https://climate.nasa.gov/climate_resources/24/graphic-the-relentless-rise-of-carbon-dioxide/

En plus du CO2, d’autres GES connaissent une progression liée aux activités humaines (voir figure suivante). Ils persistent jusqu’à des milliers d’année dans l’atmosphère et sont beaucoup plus efficaces que le CO2 à créer l’effet de serre. Par conséquent, les changements climatiques s’accélèrent et vont durer longtemps.

Émissions mondiales de GES (en kilotonnes équivalent[3] CO2)

Source : https://ourworldindata.org/co2-and-other-greenhouse-gas-emissions

L’histoire des scénarios d’émissions

Le premier rapport du GIEC en1990 présentait 4 évolutions possibles des émissions de GES. Le 2e rapport en 1995 raffinait la méthodologie avec 6 trajectoires (IS92) qui estimaient le futur développement économique. La génération suivante (lSRES) a servi aux 3e (2001) et 4e (2007) rapports du GIEC; les ISRES comptaient une quarantaine de scénarios regroupés en 4 grandes familles. Les plus optimistes intégraient pour la première fois des politiques de réduction des émissions. Les 4 familles de scénarios RCP du 5e rapport (2013) prenaient le problème à l’envers : quels efforts de réduction des émissions faudrait-il déployer pour ne pas dépasser certaines limites de réchauffement planétaire? Cette méthodologie avait pour but d’inciter nos décideurs à adopter des stratégies d’atténuation.

La dernière mouture

Les plus récents scénarios, créés en 2016 et appelés « shared socio-economic pathways » (SSP), serviront à produire les simulations climatiques du prochain rapport du GIEC dont la sortie est prévue en 2021. Comme pour les précédents RCP, chacun des SSP part d’une limite de réchauffement à ne pas dépasser pour en déduire le plafond des émissions associé. On répartit ensuite ces émissions dans les divers secteurs d’activités (agriculture, transport, industrie, etc.) en tenant compte des moyens pour les limiter : incitatifs financiers, politiques vertes, réglementation restrictive, développements technologiques, etc.

À la différence des approches antérieures, les scénarios SSP envisagent la modification d’affectation des sols en réponse à la future consommation d’aliments, de bois d’œuvre et de bioénergie. Certains scénarios SSP incluent la captation du carbone : on fait l’hypothèse que les progrès technologiques permettront de transformer, de neutraliser ou de séquestrer le CO2 à grande échelle. Autre nouveauté des SSP, ils considèrent les coûts associés à la réduction des émissions et à l’adaptation aux changements climatiques désormais inévitables.

L'encadré à la fin du présent article décrit le contexte mondial entourant les 5 familles de SSP qui se distinguent par l’ampleur des défis à relever en atténuation et en adaptation

Comparaison des nouveaux scénarios avec les anciens

Sur la figure suivante, la gamme de SSP de 2018 est comparée à celle des RCP élaborés en 2011. Les résultats sont exprimés en unités de forçage radiatif (la chaleur retenue par les GES). On voit que les précédentes projections les plus optimistes ne font plus partie des futurs possibles. Les SSP ne prévoient pas de stabilisation (RCP4,5) ou de réduction du réchauffement (RCP2,6) avant 2100.

L’envergure des défis sociaux à relever et celle des coûts des mesures d’atténuation expliquent cette révision à la hausse. Par exemple, pour atteindre la cible de l’Accord de Paris[4], on doit viser la carboneutralité[5] d’ici 15 à 20 ans. Elle implique l’établissement rapide d’une coopération mondiale, le nivellement des inégalités sociales, la diminution de la population planétaire, la réduction de la consommation des carburants fossiles, l’optimisation de l’utilisation des sols (agriculture, forêt, urbanisation) et l’invention de techniques efficaces de captation du CO2. Cet objectif semble hors de portée, à moins que les gouvernements, les industries et les citoyens mettent l’épaule à la roue et la main dans leur poche dès maintenant. En effet, selon les estimations, ces actions coûteraient entre 150 et 1700 milliards de dollars US. Rappelons que ces frais augmentent à mesure que l’on tarde à appliquer les solutions; de même, la réparation des dégâts causés par les changements climatiques (ouragans, inondations, érosion côtière, feux de forêt, etc.) coûtera de plus en plus cher.

Comparaison des émissions des 6e (SSP) et 5e rapports (RCP) du GIEC (en watts par mètre carré)

Source : Riahi, K. et al. 2017 (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378016300681)

À titre indicatif, une augmentation des températures globales autour de 4°C à la fin du siècle correspond environ à un forçage radiatif de 8 W/m2.

Si la tendance se maintient…

Malgré la précision grandissante des scénarios d’émissions du GIEC, de fortes incertitudes persistent. Ainsi, la fonte du pergélisol et les milieux humides libéreront des quantités de GES difficiles à évaluer. On ne peut estimer tous les dégâts causés par le futur climat (et les coûts reliés). Les projections n’ont pas non plus tenu compte des impacts qui pourront être évités grâce aux mesures d’atténuation.

En dépit des approximations et des incertitudes, jusqu’à présent les pronostics du GIEC se sont confirmés : les émissions de GES augmentent, entraînant la hausse des températures mondiales. La NASA vient justement d’annoncer que 2015, 2016, 2017 et 2018 constituent les années les plus chaudes enregistrées depuis 1880.

Par ailleurs, on remarque que les bonnes intentions de réduction manifestées par les citoyens et celles des gouvernements lors des 24 COP[6] ne se concrétisent pas vraiment. Or les taux d’émissions actuels conduiraient à un réchauffement planétaire moyen d’au moins 4 C en 2100 (jusqu’à 8°C dans les régions nordiques). Ce scénario catastrophique provoquerait des dommages environnementaux irréversibles, en plus des désordres sociaux. En somme, compte tenu de l’inertie du système planétaire et de la longévité des GES, plus on tarde à agir pour réduire les GES, plus les impacts et leurs coûts socio-économiques seront importants.

Pourtant, depuis 30 ans le GIEC sonne l’alarme; les conséquences des changements climatiques et les solutions sont connues. Des précisions supplémentaires de la part des scientifiques sont-elles vraiment nécessaires pour passer à l’action? La balle est dans notre « quand ».

 

Pour en savoir davantage

Intergovernmental panel on climatic change

https://archive.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg1/WG1AR5_Chapter08_FINAL.pdf

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/11/SR15_Chapter2_Low_Res.pdf

Riahi, K. et al. (2017) The Shared Socioeconomic Pathways and their energy, land use, and greenhouse gas emissions implications: An overview. Global Environmental Change, Volume 42, pp. 153-168, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378016300681

Rogelj, J. et al. (2018) Mitigation Pathways Compatible with 1.5°C in the Context of Sustainable Development. IPCC, Chap.2 Special report:  Global warming of 1.5°C. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/11/SR15_Chapter2_Low_Res.pdf

Hannah Ritchie and Max Roser (2019) CO and other Greenhouse Gas Emissions. https://ourworldindata.org/co2-and-other-greenhouse-gas-emissions

 


[6] Conference of parties : tous ans les représentants de la plupart des nations essaient de s’entendre sur les moyens à mettre ne place pour lutter contre les changements climatiques. La 24e COP s’est tenue en Pologne en novembre dernier.


[4] On vise un réchauffement planétaire moyen d'au plus 1,5 °C à la fin du siècle par rapport à la période préindustrielle.

[5] Le bilan net de GES doit atteindre zéro, cest-à-dire autant d’émissions que de captation par la nature et par lHomme.


[3] Pour rendre comparables les émissions des différents GES, on ramène leur pouvoir de réchauffement à celui du CO2. Par exemple, une molécule doxyde nitreux (N2O) possède environ 300 fois la capacité du CO2à retenir la chaleur dans latmosphère. On a donc multiplié les émissions de N2O par 300 sur le graphique.


[2] ppm : partie par million, soit le nombre de molécules de CO2 par million de molécules dautres gaz dans lair


[1] Le Groupe dexperts intergouvernemental sur l’évolution du climat a été créé en 1988 par lOrganisation météorologique mondiale et par le Programme des Nations unies pour lenvironnement. Le GIEC compte 195 pays membres qui mettent à contribution près de 2500 scientifiques.

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