(Ainsi, bon nombre de téléphones à cadran restent encore en fonction, au grand déplaisir de Bell Canada, qui aurait bien voulu se débarrasser de cette technologie désuète depuis des décennies, et pour laquelle il lui faut toujours assurer un suivi parce qu'elle ne peut forcer sa clientèle à migrer vers un autre produit. Ce qui n'a pas empêché les telcoms à plusieurs reprises par le passé de tenter par divers moyens de retirer leur service à cadran et d'imposer des tarifs Touch-Tone à tous les abonnés. Jusqu’à ce jour, ils en ont été frustrés par les ordonnances du CRTC. Notons qu'il reste encore 5 % de clients de résidence monolignes encore abonnés au service à cadran.)
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La nostalgie des vieux gadgets n'est pas l'apanage de quelques luddites en proie au choc du futur. Au contraire, toute une culture rétrotechno s'est développée chez les nerds et les geeks autour du recyclage des anciennes technologies et des objets emblématiques de notre société de consommation. Par exemple, comme le raconte Esther Pilon dans un article de la Presse, daté du 24 mai 2006, de jeunes ingénieurs et informaticiens se servent de vieux casiers d'ordinateurs pour les transformer en aquariums, boîtes aux lettres et bacs à fleurs. Parce que l'on a aimé le design d'un gadget particulier, on cherche à prolonger sa vie utile en le convertissant en autre chose. On exploite ainsi les qualités d'un produit (sa durabilité, son ergonomie ou même sa beauté formelle) pour bonifier une autre technologie. Par exemple, certains se sont servis du boitier du classique Walkman jaune de Sony pour y insérer leur nouveau iPod, le transformant ainsi en RétroPod.
Mais ce renippage de vieux gadgets, initiative louable en soi en ces temps de recyclage, est surtout le fait de jeunes technoïdes, souvent des “ early adopters ” (des réceptifs précoces, selon l’affreux terme inventé par l'Office de la langue française du Québec) qui tentent de donner une seconde vie aux nombreux gadgets dont ils se défont régulièrement. Le recyclage dont fait l’objet ces artefacts est surtout d’ordre cosmétique. Il touche rarement l’usage premier ou la raison d’être de l’objet.
À l'autre bout de ce spectre technologique, on retrouve les loyalistes de la machine, des aficionados de l’informatique amateur, généralement plus âgés, qui ont utilisé certaines technologies dans leur jeunesse et qui ne désirent pas s'en départir pour diverses raisons. Par exemple, plusieurs journalistes emportent encore avec eux d'anciens ordinateurs portables fonctionnant sur logiciel d'exploitation DOS, parce qu'ils sont solides, durables et dédiés à la tâche primordiale de traitement de texte. Des graphistes utilisent toujours l'Amiga, un micro-ordinateur pour lequel des amateurs ont développés plusieurs logiciels d'exploitation leur permettant d'émuler d'autres plates-formes. (Les effets spéciaux de la série Babylon 5 furent d’abord réalisés sur des Amiga dotés de cartes vidéo Newtek Toaster). Dix ans après que le dernier Amiga soit sorti des chaines de montage, on écrivait encore des logiciels d'exploitation pour lui (le AmigaOS 4, sorti en 2004).
Il ne faut pas croire que ces « rétrocomputistes » et « émulationistes » vivent dans un passé révolu et rejettent toute innovation technique. Au contraire, ils se trouvent souvent à la fine pointe du progrès lorsque vient le temps d’entretenir leur matériel défaillant ou d’essayer de nouvelles applications. En effet, ces hobbyistes se rejoignent par le biais des forums de discussion sur Internet et fabriquent leurs propres circuits électroniques lorsqu’ils ne peuvent trouver des pièces de remplacement. Certains fans de la première heure utilisent même leur vieux Commodore 64 et TRS-80 !
Je me rappelle d’ailleurs fort bien de mon premier ordinateur, un TRS-80 modèle 1, fabriqué et distribué par Tandy Radio Shack. Cette machine, qui coûtait plus d’un millier de dollars (et c’était une coquette somme en 1979), possédait 12 Ko de mémoire vive, un écran monochrome dont la résolution était de 128 X 48, une puce Zilog Z80 dont la vitesse de calcul atteignait les 1,77 Mz. Le stockage de données s’effectuait via un vulgaire magnétophone qui enregistrait les programmes (en binaire) sur cassettes. Le logiciel d’exploitation était une variation sur le DOS.
J’étais émerveillé, et je le suis encore quand j’y pense, par le simulateur de vol fourni avec le système. Ce programme était le grand ancêtre du Flight Simulator 2004. Cet ordinateur primitif, et pratiquement impuissant selon les critères d’aujourd’hui, permettait pourtant de réaliser une simulation en temps réel du vol aérien, sur une grille schématisée et limitée mais dans laquelle les règles de la perspective étaient respectées. (Les nouvelles versions du logiciel cachent sur leur carte une reproduction de cette grille primordiale. Lisez le manuel pour en trouver les coordonnées géographiques.) Quand je pense que ce fabuleux petit logiciel tenait en 12 Ko de langage machine seulement et que la version actuelle du Flight Simulator 2004 nécessite trois disques d’installation (et, qu’en plus, il fait planter mon portable parce qu’il surchauffe la puce en essayant de reproduire les paysages en haute définition), je me demande vraiment si toutes ces avancées technologiques en valent la peine. Un de mes amis avait programmé en langage machine (car en ce temps-là, les amateurs d’informatique étaient tous un peu programmeur, au moins en BASIC) un jeu de la vie, basé sur les automates cellulaires, que mêmes les versions actuelles n’accotent pas.
Je comprends donc pourquoi certains amateurs préfèrent garder leurs vieilles machines et les exploiter au maximum de leurs capacités plutôt que de toujours rechercher des technologies, de toute manière immatures et instables, qu’il est devenu impossible de maîtriser à cause de leur complexité croissante et de leurs changeants standards. Ces ordinateurs archaïques, l’équivalent électronique des règles à calcul dont je parlais dans mon billet du 25 mai 2006, peuvent néanmoins procurer de belles heures d’amusement sinon d’apprentissage pour qui s’intéresse à l’histoire des technologies. Bien que pour mon travail, je préfère tout de même me servir d’un ordinateur récent, doté de toutes les options !