Dans les heures qui ont suivies l'annonce d'une explosion nucléaire souterraine par la Corée du Nord, les scientifiques se sont mis au travail afin de répondre à trois questions:

  1. Y a-t-il eu détonation?

  2. Si oui, de quelle puissance?

  3. et était-ce une explosion nucléaire?

Pour répondre à ces questions, les scientifiques disposent d'un réseau de détecteurs disposés à travers le monde, dans le cadre d'une surveillance constante établie par le Traité d'interdiction complète d'essais nucléaires ouvert à la signature le 24 septembre 1996 (en mai 2005, 175 pays avaient signé le traité et 120 l'avait ratifié). Bien que ce traité ne soit pas encore en application, car 33 des 44 pays devant le ratifier obligatoirement ne l'ont pas encore fait, les démarches sont déjà en place pour installer le matériel et développer les logiciels d'analyse automatique des données.

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Y a-t-il eu détonation?

La présence d'une détonation souterraine est normalement mesurée par les séismographes. Chaque jour, les séismographes enregistrent plusieurs événements causés par du dynamitage, des microtremblements de terre, etc. Il faut donc retrouver, parmi tous ces événements, la signature d'une bombe.

Théoriquement, ce n'est pas si difficile. Deux types d'ondes peuvent se propager dans la matière solide : les ondes transversales, qui oscillent dans une direction perpendiculaire à leur direction de propagation (telles les vagues, qui oscillent de haut en bas, mais se déplacent le long de la surface), et les ondes longitudinales, qui représentent une onde pression, comme le son qui se déplace dans l'air.

Exemple d'ondes transverses et longitudinales.

Un tremblement de terre correspond normalement à un déplacement latéral d'un morceau de la croûte terrestre par rapport à un autre, un peu comme lorsqu'on déchire un morceau de carton, ou lorsqu'on bouge une corde à danser de haut en bas. Tout comme pour cette corde à danser, l'onde se propage dans une direction perpendiculaire à ce déplacement : l'onde de choc est donc à dominance transversale.

L'onde de choc d'une explosion souterraine est très différente. Lorsque la bombe est détonnée, elle dégage un souffle dans toutes les directions, créant une onde de pression ou longitudinale.

Comparaison de mesures séismiques lors de l'explosion nucléaire en Inde et d'un tremblement de terre.

L'onde 'P' est une onde longitudinale (sonore) alors que l'onde 'S' est une onde transverse (type temblement de terre). (Tiré de l'article Seismic Monitoring Techniques Put to a Test, Arnie Heller, S&TR, avril 1999, Lawrence Livermore National Laboratory)

On peut donc, en théorie du moins, facilement distinguer, même de l'autre côté du monde, une explosion souterraine de forte puissance d'un tremblement de terre. Ce fut le cas, par exemple, pour l'explosion nucléaire en Inde, qui a eu lieu il y a quelques années.

Malheureusement, il y a parfois des problèmes. En effet, si l'explosion a lieu dans un sol sablonneux, l'impact de l'explosion peut être fortement atténué. De même, certaines réflexions sur des objets peuvent déformer les ondes de choc et compliquer considérablement l'analyse.

Les équipes responsables de vérifier le respect du Traité d'interdiction travaillent donc à caractériser autant que possible les propriétés de la croûte terreste à travers le monde, afin de corriger les distorsions et d'obtenir ainsi une détection aussi bonne que possible.

Quelle puissance?

Là, c'est plus difficile. On utilise toujours les séismographes. Il faut maintenant extraire la puissance. Comme les ondes de choc sont atténuées en traversant le sous-sol, il faut donc bien connaître la composition de celui-ci. Ça ne pose pas un problème en ce qui concerne le désert du Nevada, où les centaines de bombes explosées ont permis de cartographier finement la géologie de cette partie des États-Unis. C'est une autre histoire en ce qui concerne la Corée du Nord. On ignore presque tout des détails du sous-sol et même du lieu de l'explosion et de son environnement : la bombe était-elle enfouie dans le sable, placées dans une caverne ou était-elle placée dans un trou creusé dans le roc?

En l'absence d'information plus précise, il est possible d'établir des limites sur la taille de l'explosion, mais on ne peut donner de nombre solide. Pour le moment, on estime que l'explosion aurait été entre 300 et 500 tonnes de dynamite, une très faible explosion pour une bombe nucléaire. On peut supposer que les scientifiques font tourner divers modèles afin de raffiner leur analyse.

L'explosion est-elle nucléaire?

La taille de l'explosion de la semaine dernière en Corée du Nord semble relativement faible. Était-ce une explosion ratée ou une bombe classique (à la dynamique, par exemple)? Si on mesure une augmentation de la radioactivité dans l'air de la région, on peut en déduire qu'il s'agit d'une vraie bombe nucléaire. Sinon, on ne sait pas vraiment; une bombe bien enfouie, surtout si petite, pourrait ne laisser fuir que relativement peu de particules radioactives. C'est pourquoi l'absence de signal radioactif ne veut pas nécessairement dire qu'une explosion nucléaire n'a pas eu lieu.

Encore une fois, donc, la science joue double jeu. D'un côté, elle est responsable des développements technologiques permettant de construire un engin de destruction massive. D'un autre côté, elle permet de suivre de près les tests et offre aux politiciens les outils nécessaires pour la diplomatie. Reste à savoir si à la fin on y gagne ou on y perd. Mais ce n'est pas à moi de décider...

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