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2023 et 2024 n’ont pas seulement été marquées pas des records de chaleur au Canada. Rien qu’en 2023, il y a eu six fois plus de forêts brûlées que la moyenne annuelle. Et dans le futur, il y aura de plus en plus de ces événements météorologiques extrêmes. Mais en faisons-nous assez pour prédire ces menaces ?

« C’est vrai, il nous faut améliorer la prévision pour mitiger l’impact des risques naturels sur nos vies», souligne Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM, qui était coorganisateur du colloque de l’ACFAS sur la gestion des risques naturels, tenu au début de mai à Montréal. 

S’il ne fait aucun doute qu’il faut mettre l’accent sur l’adaptation de nos villes et de nos territoires aux changements climatiques, il faut en même temps mieux prévenir les futurs évènements extrêmes.

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Par exemple, pour bien évaluer les risques de feux de grande ampleur, il faut prendre en compte les processus physiques à l’origine des incendies, leur durée, leur intensité et leur localisation.

Ainsi, les chercheurs observent une diminution des précipitations et donc, une augmentation des sécheresses intenses. Ce qui va  « favoriser les incendies particulièrement intenses, comme en 2023 », relève le Pr Gachon.

D’orages à tempêtes

Il y a aussi les orages d’été que l’on connaît de mieux en mieux: le réchauffement diurne alimente les cellules orageuses de fin de journée. « Cela génère plus de précipitations en soirée, avec le maximum de risque de foudre survenant un peu avant 21 heures », poursuit l’expert.

Même les rafales de vents sont sous la mire des chercheurs. Une des étudiantes de Philippe Gachon et de Martin Leduc, du Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (UQAM), participe à une étude sur les vents, cause principale de dommages lors des tempêtes extrêmes.

Les rafales sont notamment responsables de la majorité des interruptions dans la distribution d’électricité sur le territoire québécois, explique Amélie Michaud. Ces épisodes de vents extrêmes durent peu —à peine 3 secondes— et sont changeants.

Les chercheurs ont donc simulé sur ordinateur un modèle régional de climat incluant des vents intenses et des rafales de vent extrêmes, en hiver et en été dans le sud du Québec. « Les simulations nous servent à valider les conditions actuelles, où l’on a souvent des changements soudains dans la direction et la vitesse des vents », relève l’étudiante.

Par l’analyse de deux tempêtes qui ont affecté le sud du Québec en mai et décembre 2022, l’équipe a pu démontrer la justesse de ses estimations des rafales et vents extrêmes. Toutefois, « c’est plus précis sur la mer que sur la terre, et aussi dans les situations de vents les plus élevés », ajoute l’étudiante.

Une tempête exceptionnelle est de toutes façons difficilement modélisable. Lorsque le modèle est centré sur les grosses rafales, il pourrait surestimer et sous-estimer les autres rafales de vents, relève Philippe Gachon.

Place à la cartographie climatique

La géologie et la végétation jouent également un rôle dans les déplacements à la fois des grosses tempêtes et des incendies. Il faut donc prendre en compte le terrain, autrement dire se référer aux écozones du Canada —des aires écologiques différemment réparties sur le territoire.

Et pour les forêts, la couverture satellite des points chauds du Canada est un outil de plus dans la cartographie des risques.

Précurseur dans la prévision des feux de forêts, le Canada a développé l’indice IFM (forêt-météo) qui se base sur le type de forêt et aussi sur la température, l’humidité relative et d’autres paramètres, pour évaluer le risque d’incendie au jour le jour.

Cet indice prend en compte « les conditions d’allumage, le combustible, le climat et la météo, afin de réaliser des patrons spatiaux corrélés avec une carte des combustibles —végétation et types d’arbres », détaille Jonathan Boucher, du Service canadien des forêts.

Lors de ses travaux sur l’évaluation des risques d’incendies liés à la végétation sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Québec, il s’est attaché avec ses collaborateurs à étudier la menace en milieu urbain —il s’agit d’un territoire de 10 000 km2 qui inclut entre autres une grande forêt et des zones agricoles. 

Et la crainte des chercheurs et des gestionnaires, c’est le développement immobilier en zones périurbaines proches des forêts riches en combustibles. « Surtout que 90% des départs de feux sont d’origine humaine. Le réchauffement climatique et l’assèchement de la végétation pourraient contribuer à augmenter le risque », note M. Boucher.

Le modèle développé montre toutefois que, pour l’instant, le risque reste faible et les incendies causés par la végétation seraient de faible intensité. 

Les pieds dans l’eau

Les inondations présentent elles aussi un plus gros risque dans certaines régions ou certains quartiers, à cause des perturbations climatiques. Il serait théoriquement possible de mieux les prévenir par l’analyse du passé, explique la professeur de géographie, d'aménagement et d'environnement de l’Université Concordia, Jeannine-Marie St-Jacques.

Son équipe s’est penchée sur 1000 ans de risques d’inondations dans le sud de la vallée de l'Outaouais, en prélevant des carottes de sédiments au sein de méandres abandonnés de cette rivière.

Pour identifier ces signatures des paléo-inondations, les chercheurs procèdent à une datation et une extraction des 21 éléments géochimiques principaux —silicium, potassium, fer, cuivre, etc.— ainsi que des traces de matières organiques. « Cela nous donne un signal de l’érosion. Par exemple, moins on a d’éléments organiques présents, plus il y avait des inondations à cette époque. Même les éléments associés à la pollution (zinc, cadmium, etc.) vont nous parler », explique la chercheuse.

Ainsi, une signature importante de dépôts de métaux lourds dans la vallée de la rivière Rouge, au siècle dernier, intriguait les chercheurs. Pour se rendre compte qu’il s’agirait des rejets de la fusion des métaux dans une usine de Rouyn-Noranda, à 350 km en amont. « Ce sont des éléments caractéristiques qui ne trompent pas », assure la Pr St-Jacques.

Les résultats préliminaires de son étude ont aussi mis à jour les effets des coupes à blanc au cours des années 1800: celles-ci ont déclenché une érosion massive. Les résultats montrent de plus que le petit réchauffement médiéval (en gros, des années 800 à 1200) aurait entraîné des crues plus importantes qu’entre 1300 et 1800. Ce lien entre réchauffement et crues peut s’avérer particulièrement important à comprendre aujourd’hui. 

La cartographie des zones inondables serait à parfaire, tout comme les modèles de prévisions sur les périodes de retour des crues extrêmes. À ce jour, leur prévention et leur mitigation demeurent difficiles, en raison de leur imprévisibilité et des limites des approches académiques. Il y aurait pourtant urgence, parce que la formation d’embâcles au printemps entraine des impacts économiques et sociaux majeurs au sein des communautés affectées.

Les résidents eux-mêmes pourraient aider la recherche. « Ils ont des connaissances souvent considérées comme anecdotiques, que je cherche à valoriser. C’est parfois un défi de trouver les bons porteurs de savoirs», annonce l’étudiante de l’UQAR, Zoé Martineu.

Son projet de maitrise intègre ainsi des connaissances académiques, celles des gestionnaires et celles des riverains, afin de mieux cartographier les zones inondables en lien avec les embâcles de glace sur la rivière Mitis, au Québec.

Elle a recueilli des informations à l’aide de questionnaires en ligne et papier, et d’entrevues avec des gestionnaires municipaux. Même si toutes les connaissances ont leurs limites, « je vais m’attacher à la convergence et même à la divergence des informations Je vais cartographier ce qui m’est dit et voir ce qui concorde avec le terrain, avec les cicatrices glacielles» —celles laissées sur les arbres par les blocs de glace lors d'embâcles.

Dans l’espoir d’améliorer les prévisions des risques naturels, les témoignages des populations locales sont d’autant plus importants que ce sont ces populations qui vivront avec les impacts du réchauffement du climat.

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