Représentation de vols d'avion avec des avions en papier sur fond noir

Imaginez, vous êtes à l’aéroport, la famille McAllister vient de monter à bord de son avion pour les vacances de Noël… sans le petit Kevin. Vous apprenez qu’un siège sur ce vol vient de « mystérieusement » se libérer. Vous, par chance, êtes à la recherche d’un siège de dernière minute pour vos vacances de Noël. Et en bonus : vous estimez ne pas avoir à investir dans une compensation carbone – puisque cet avion allait pourtant partir, que vous y soyez ou non!

En 2023, le secteur de l’aviation a relâché près de 950 Mt de CO2 [1] dans l’atmosphère. Pour un vol aller simple entre Montréal et Paris, c’est en moyenne plus de 590 kg de CO2-eq qu’il faut anticiper par personne. Bref, ce siège vide de dernière minute serait plutôt toute une aubaine sur un bilan carbone individuel.

Toutefois, ce n’est pas exactement la façon dont un bilan carbone fonctionne. Pratiquement toute activité possède une empreinte environnementale. De plus, bien que les passagers ne soient à bord de l’appareil que pour la distance entre les deux aéroports, leurs bilans sont même légèrement plus élevés que celui lié à la distance du vol, car il faut tenir compte de tout le cycle de vie de l’appareil et des occasions où l’avion est en déplacements entre deux transports de passagers.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Typiquement, le bilan environnemental attribué aux passagers sur un vol est inversement proportionnel à l’espace attribué à chaque siège. Par exemple, la figure 1a présente une répartition fictive entre 4 passagers. Attribuer une contribution nulle à un passager (figure 1 b) revient alors à pénaliser tous les autres passagers en redistribuant la contribution du siège en question. Bref, autant le transporteur aérien que les autres passagers du vol n’ont pas d’intérêt à admettre un siège à bilan environnemental nul, notamment parce que le passager comblant le siège à la dernière minute bénéficie lui aussi du même service de transport.

Représentation des approches pour comptabiliser le bilan environnemental. 1a) Graphique en secteurs divisé à quatre parts égales, 1b) Graphique en secteurs divisé à trois parts égales, 1c) Graphique en anneau représentant la contribution de l’option B à l’augmentation du bilan environnement, 1d) Graphique circulaire représentant le bilan de l'option A.
Crédits : Xavier Tanguay
Figure 1 - Approches pour comptabiliser le bilan environnemental : a) Contributions égales, b) Contributions compensant le siège d’un autre passager, c) Contribution de l’option B à l’augmentation du bilan, d) Bilan de l’option A.

Le nœud du problème est le suivant : le bilan environnemental mentionné jusqu’à maintenant ne vise qu’à établir le total des émissions. Une opportunité sous-entend plutôt de comparer des options.  C’est d’ailleurs ce pour quoi les ACV dites avec perspectives « conséquentielles » sont conçues. Une ACV en perspective conséquentielle comptabilise la différence entre une option « B » plutôt que « A », à partir du moment où la décision est prise.

Dans cette perspective de conséquences, acheter un billet d’avion de dernière minute est le point de départ de votre option « B ». Qui plus est, votre option B ne correspond qu’à l’excédent au bilan environnemental associé à votre poids (et celui de vos bagages) face à celui de l’avion sans le passager initialement prévu (et ses bagages) (figure 1 c). À noter ici que, pour faire simple, seul le transport est inclus dans la discussion. Bref, le bilan environnemental associé à l’option B est plutôt faible. Les choses se compliquent lorsque vient le moment d’établir ce qu’est l’option « A ».

Voici quelques situations pour l’option « A » (figure 1 d):

Dans le cas où, faute d’une bonne opportunité de voyage, l’option A consiste à ne pas voyager, le résultat « B moins A » demeure encore dommageable pour votre bilan environnemental en perspective conséquentielle (car A est une solution sensiblement peu polluante pour l’environnement).

Dans le cas où l’option A consistait à acheter un billet pour un vol identique, mais à date ultérieure, l’option A se distingue alors par la prévisibilité pour le transporteur : celui-ci peut ajuster ses commandes en carburant, l’entretien, etc. Bien que très similaire au bilan de l’option B, cette solution ajoute typiquement plus d’impacts, car elle soutient une demande pour le service d’aviation. Le bilan « B moins A » tend alors à être légèrement avantageux.

Dans le cas où l’option A revient à faire un voyage en automobile (un roadtrip), le bilan lié aux transports de l’option A reviendrait principalement à l’augmentation de la consommation d’essence pour l’automobile et son usure. Ici, le choix de remplacer à la dernière minute un passager manquant pourrait mériter une analyse plus en profondeur avant de trancher.

Mais attention, il ne faut pas oublier que certaines compagnies aériennes s’intéressent à la surréservation dans les avions (overbooking). En somme, elles anticipent à l’avance qu’un certain nombre de sièges pourraient ne pas être occupés, malgré leur réservation. Ceci ouvre alors la voie à libérer plus de sièges que réellement disponibles dans l’avion pour rentabiliser le déplacement. À ce moment, même l’option « B » de remplacer le passager absent devient un point à revoir. Cette opportunité de vol à bilan environnemental pratiquement nul n’est alors plus qu’une forme de mirage.

Pour finir, une opportunité de dernière minute pour un bilan environnemental n’a rien de simple à évaluer. La perspective utilisée pour réaliser la quantification modifie la nature de ce que l’on souhaite comptabiliser, alors que les circonstances (définissant les options A et B) altèrent fortement ce qui est à l’étude. Dans un contexte de compensation carbone, la question demeure entière : faut-il cibler la compensation du déplacement aérien moyen (figure 1a), celui de l’option B (figure 1c), ou seulement compenser si B moins A est défavorable pour l’environnement (la différence entre figure 1c et figure 1d)?

Par Xavier Tanguay, candidat au doctorat du LIRIDE (Université de Sherbrooke)

Je donne