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Bonjour à tous! Nous savons bien maintenant que le zéro absolu (-273,15°C) est la température la plus basse possible dans l’univers. Nous allons voir qu’il est en fait possible d’atteindre des températures plus basses que ce zéro absolu mais qu’elles ne correspondent plus à des températures que l’on mesurerait sur un thermomètre.

Le texte qui s’en vient est relativement long et demande pas mal d’attention pour le (la) non-initié(e) alors prenons un peu de temps sur quelques petites choses avant de rentrer dans le vif du sujet.

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Le zéro des physiciens

Rappelez-vous, la dernière fois nous parlions de Lord Kelvin qui avait permis de fixer le concept du zéro absolu dans l’esprit de tous. On lui doit également ce que l’on appelle l’échelle Kelvin qui représente un nouvel axe de température. Son fonctionnement est simple, l’écart entre deux kelvins (on ne parle pas de «degrés» kelvin) est le même qu’entre deux degrés Celsius et le 0 kelvin (0 K) est placé au zéro absolu. Il n’existe donc que des températures positives sur cette échelle vu que l’on ne peut pas aller sous le zéro absolu, soit sous le 0 kelvin. Pour vous donner une petite idée, voici quelques correspondances :

  • l’eau bout : 373,15 K.
  • l’eau gèle : 273,15 K.
  • la glace sèche (dioxyde de carbone solide) : 195 K.
  • l’azote liquide : 77 K.
  • l’hélium liquide : 4 K.
  • le zéro absolu : 0 K.

Il est aussi impératif de voir un «petit» aspect de magnétisme quantique avant de continuer.

Le spin, petite boussole quantique

Le concept de spin est relativement complexe en soi mais on peut en saisir un peu le sens en considérant que l’électron joue aussi le rôle d’un petit aimant, comme le montre l’ image 1 (vous pouvez aussi jeter un oeil à la vidéo de la chaine Youtube Veritasium What is Quantum Mechanical Spin? ).

Ce spin est une propriété intrinsèque de l’électron (entre autres particules) qui, dans le cas de l’électron, peut soit être dans l’état «up», soit dans l’état «down». Il importe énormément lorsqu’un champ magnétique est mis en jeu car un électron a une énergie minimale (maximale) si son spin est aligné (anti-aligné) avec le champ magnétique. La nature privilégiant la plus basse énergie possible (un peu comme un «principe de moindre effort» général), les spins vont avoir tendance à s’aligner le long du champ magnétique, de la même façon qu’une boussole va s’aligner avec le champ magnétique de la Terre pour minimiser son énergie.

Les températures absolues négatives, un phénomène contre-nature

Rentrons enfin dans le vif du sujet! L’exemple le plus simple permettant de comprendre comment une température peut être absolument négative (soit «sous le zéro kelvin») est de considérer un système de spins immobiles (comme dans un matériau isolant où les électrons sont immobiles) plongés dans un champ magnétique. Maintenant que l’on a ces informations en main, il est temps de s’intéresser à l’ image 2 de cet article (nous avons juste représenté les spins sans les boules représentant les électrons pour alléger le schéma).  Commençons par la première colonne à gauche. On a ici la configuration de plus basse énergie où tous les spins (flèches violettes) sont alignés avec le champ magnétique (flèche verte). Le système étant complètement ordonné, l’entropie est nulle (pour avoir les bases sur l’entropie, vous pouvez toujours regarder mon article précédent). Quant à la température, tout se passe comme si nous étions proche du zéro absolu car il n’y a pas assez d’énergie apportée par la chaleur pour retourner ne serait-ce qu’un seul spin. Cette état de plus basse énergie est appelé état fondamental. Si on augmente la température, on va réussir à se retrouver avec quasiment autant de spin «up» que de spin «down» comme sur la deuxième colonne en partant de la gauche : le système étant complètement désordonné, l’entropie est alors maximale et tout se passe comme s’il faisait très chaud (symbolisé sur l' image 2 par le fait que la température tende vers l’infini).

Attention, c’est là que les choses se corsent. Nous avons en effet vu que la nature privilégiait les basses énergies et cela se retrouve dans le fait que tout système où il y a plus de spins retournés que de spins dans l’état fondamental (des spins alignés avec le champ magnétique) est instable : le système va perdre de l’énergie pour permettre à certains spins retournés de retrouver leur état fondamental en se ré-alignant avec le champ magnétique. On parle de relaxation du système. Je me permets d’ouvrir une petite parenthèse pour dire que c’est de cette façon que fonctionnent les lasers : des atomes sont excités en leur sein afin qu’il y ait plus d’atomes excités que d’atomes dans l’état fondamental. Ces systèmes étant instables, certains atomes excités vont se désexciter en émettant chacun un photon (un grain de lumière). On peut alors s’arranger pour que tous ces photons soient identiques, ce qui va alors créer ce faisceau de lumière cohérente qu’est le laser.

Revenons désormais à notre système de spins en se demandant la chose suivante : que se passerait-il si on pouvait faire durer un état où il y a plus de spins retournés que de spins dans l’état fondamental? (Nous verrons d’ici peu que c’est possible.) Regardons la troisième colonne de l’ image 2 . La seule différence avec la deuxième colonne est le retournement du spin orange qui fait qu’il y a finalement plus de spins retournés que de spins dans l’état fondamental. Ici le système est encore pleinement désordonné mais si on continue de retourner des spins, l’énergie du système va augmenter alors que le désordre (et donc l’entropie) va diminuer car les spins s’ordonnent dans le sens opposé au champ magnétique. Or, la physique statistique (branche majeure de la physique s’intéressant à des systèmes composés de beaucoup de particules) nous apprend que la température d’un système peut être définie via la relation présentée à l’ image 3 .

L’inverse de la température est égal à la dérivée de l’entropie par rapport à l’énergie à volume constant. Autrement dit, le signe de la température est donné par la façon dont varie l’entropie en fonction de l’énergie : si l’entropie et l’énergie évoluent de la même façon, on a une température absolue positive tandis que s’ils évoluent de façons opposées, on a une température absolue négative (la température mesurée par un thermomètre serait bien évidemment positive, égale à l’opposé de la température négative). On voit alors que la partie de droite de l’ image 2 correspond à un système de température absolue négative car on a vu que l’entropie y diminuait lorsque l’énergie augmentait! Mais est-ce qu’un tel système existe au moins?

Il est en fait possible de faire durer un tel état pendant 3 minutes environ (ce qui est vraiment très long par rapport aux temps caractéristiques régissant la physique d’un solide) dans des cristaux de fluorure de lithium (par exemple). Pour ce faire, on utilise de la résonance magnétique nucléaire où on aligne les spins d’un solide avec un champ magnétique avant d’appliquer brièvement un autre champ magnétique qui va ici retourner les spins. Dans le fluorure de lithium, les spins vont mettre environ 3 minutes à se remettre dans l’état fondamental (alors que dans d’autres solides, cela ne prendrait que quelques fractions de seconde).

Par ailleurs, on peut noter qu’une température absolue négative est plus chaude que n’importe quelle température absolue positive! En effet, on voyait dans un de mes articles précédents qu’un système plus chaud cédait toujours de la chaleur à un système plus froid : des calculs simples de thermodynamique (branche de la physique étudiant la chaleur et les machines thermiques) montrent alors qu’un système de température absolue négative cèdent toujours de la chaleur à un système de température absolue positive! On pouvait s’attendre à ça dans le sens où système à température absolue négative renferme plus d’énergie qu’un système à température absolue positive, comme on peut le voir sur l’ image 2 .

Et à quoi ça sert?

Nous avons déjà vu que cette physique explique en partie le fonctionnement des lasers, même si ces états de température absolue négative ne sont atteints que durant un très bref instant. Certains calculs de thermodynamique prédisaient également la possibilité de créer une machine thermique dont l’efficacité aurait été plus grande que 1 (elle aurait pu créer plus d’énergie qu’elle en aurait consommé). Cette hypothèse a été cependant invalidée par un des premiers articles de mon directeur de thèse, le professeur André-Marie Tremblay.

Néanmoins, un des travaux les plus innovants en matière de température absolue négative a été réalisé fin 2012 et publié début 2013 par le groupe de Simon Braun en Allemagne (résumé de l’article avec quelques commentaires), des travaux prédits théoriquement par les allemands Akos Rapp, Stephan Mandt et Achim Rosch. Ils ont utilisé un gaz d’atomes de potassium ultra-froids (où des atomes sont piégés dans un réseau optique créé par des lasers interférant les uns avec les autres) pour réaliser un système de température absolue négative parfaitement stable! Je vais essayer de donner les détails un peu complexes de cette expérience jonglant entre isolant de Mott et superfluidité dans un petit aparté que vous pouvez vous permettre de sauter dans un premier temps si vous voulez. Toujours est il que je parlerai bientôt de ces concepts d’isolant de Mott et de superfluidité car ils sont reliés à mon sujet de doctorat.

######################## APARTÉ ########################

On peut se référer à l’ image 4 pour essayer de comprendre ce que le groupe de Simon Braun a fait. Comme dit précédemment, les atomes sont plongés dans un piège magnéto-optique fait à base de lasers et de champ magnétique, ce piège prenant la forme des puits bleus en haut à gauche de l’ image 4 . À suffisamment basse température et si le piège n’est pas trop profond, on parle d’état superfluide où les atomes peuvent sauter sans problème d’un puits à un autre. On peut ensuite rendre ces puits plus profonds pour atteindre un état appelé isolant de Mott où les atomes sont bloqués au fond des puits (en bas à gauche de l’ image 4 ). C’est maintenant qu’intervient l’astuce : il s’agit de renverser complètement le piège! En faisant cela, les atomes vont être bloqués en priorité dans des états de haute énergie (en haut à droite de l’ image 4 ), ce qui correspond à un état de température absolue négative comme nous avons pu le voir avant. On peut ensuite faire «fondre» le piège (en le rendant moins profond) pour permettre aux atomes de se mouvoir (en bas à droite de l’ image 4 ). Le tour est joué!

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Les atomes du gaz ultra-froid étaient capables de se déplacer sans problème, contrairement aux spins immobiles que nous avons vu tout à l’heure, ce qui est une grande première! Non seulement ces travaux représentent une percée dans un domaine pour l’instant inexploré en physique, mais ils sont aussi venus avec une surprise passionnante!

Comment lier l’infiniment grand et l’infiniment petit!

Une fois le gaz d’atomes ultra-froids stabilisé à quelques fractions de kelvin en dessous du zéro absolu, il devrait normalement s’effondrer sur lui-même. En effet, le passage à une température absolue négative s’accompagne d’un changement de signe dans de nombreuses quantités comme l'interaction entre les particules. Ces particules qui se repoussaient auparavant, s'attirent désormais (de la même façon qu’une étoile s’effondre sur elle-même sous l’effet de la gravitation à la fin de sa vie car les réactions thermonucléaires qui la stabilisaient s’arrêtent). Rien n'est supposé pouvoir empêcher l'effondrement du gaz! Rien? En fait, c'est la pression qui vient nous sauver la mise! On peut montrer avec très peu de calculs que ce système à température absolue négative n'est stable que si la pression devient négative également, comme ce que subit un ballon sous l'effet du gaz qui le gonfle (voir l’explication pour le gonflage d’un ballon dans un de mes précédents articles).

C’est en poussant cette analogie avec l’univers qu’arrive la surprise dont je vous parlais! Dans l’univers, la seule force qui se fait vraiment sentir sur de grandes distances est la gravitation. Les corps célestes tendent à s’attirer mutuellement et un raisonnement basique nous mènerait normalement à conclure que l’univers devrait être en pleine contraction mais on sait très bien que cela est complètement faux! Non seulement l’univers est en expansion (comme le montrent les travaux d’Edwin Hubble de 1929), mais l’univers est même en expansion accélérée (comme le montre le prix Nobel de physique 2011 de Saul Perlmutter, Adam Riess et Brian Schmidt)! Une des explications les plus en vogue pour cette accélération (ou juste pour le fait que l’univers ne soit pas en contraction) est l’existence d’une énergie noire ou énergie sombre dont la nature échappe pour l’instant aux scientifiques. Cependant, le gaz d’atomes ultra-froids dont je vous parlais au paragraphe précédent, où les atomes s’attirent (comme les astres célestes sous l’effet de la gravitation) mais où nous n’avons pas d’effondrement (comme l’univers qui n’est pas en contraction), renferme sûrement en son sein des éléments de réponse quant à la nature de cette énergie noire et c’est en autres sur cet axe que la future recherche en matière d'atomes ultra-froids et de cosmologie va s’intéresser.

Cette physique des température absolues négatives apparaît comme une sorte de monstre de foire : bizarre sous tous ses aspects, intriguant le monde qui a vite fait de partir sur de fausses idées à son sujet (je ne m’exclue pas de ce groupe d’ailleurs, loin de là, il faut dire que le sujet est relativement complexe et subtil, ce qui en fait sa beauté). C’est pourtant cette physique qui donne actuellement naissance à un des plus sublimes ponts entre l’infiniment grand (l’univers) et l’infiniment petit (les gaz d’atomes ultra-froids).

J’espère que la lecture n’a pas été trop difficile, cet article méritant amplement son niveau de 3 astérisques. N’hésitez pas à me laisser vos commentaires, ils nous permettront à tous d’améliorer notre compréhension de la chose et de se poser des questions originales! À très bientôt!

Bien à vous,

Alexis

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