Ces créatures aquatiques à quatre pattes, ou tétrapodes, ont dû attendre 100 autres millions d’années d’évolution pour que leurs oreilles deviennent fonctionnelles sur terre. Pour comprendre comment nos grands ancêtres se sont entre-temps adaptés, le groupe de biologistes a mené des expérimentations sur deux espèces considérées comme des «fossiles vivants»: le poisson pulmoné d’Afrique et la salamandre. La grande majorité des poissons aujourd’hui ne disposent plus de poumons, mais que de branchies.
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Sous l’eau, les oreilles des poissons ancestraux captaient les sons par vibrations qui atteignaient leur oreille interne. Sur terre toutefois, la densité de l’air ainsi que la compacité de leurs organes variaient trop pour qu’ils entendent de la même façon. Ils ont donc eu recours à leurs poumons.
Les chercheurs qui ont mené l’étude défendaient l’hypothèse que si les poumons permettaient aux poissons d’entendre, c’est que l’air contenu dans ceux-ci bourdonnait en réaction à la propagation d’une onde de pression externe. Ils devaient alors prouver que l'air dans les poumons vibre dans une gamme de fréquences détectable par le système auditif du poisson.
Sur le poisson pulmoné d’Afrique —l’une des espèces qui se rapproche le plus des premiers animaux terrestres— les chercheurs ont d’abord déterminé si ce dernier pouvait percevoir sous l’eau des ondes de pression acoustique. Pour ce faire ils ont apposé sur chacun de ses deux poumons un tube rempli d’eau et muni, à une extrémité, d’un haut-parleur. En observant les réactions à ces stimuli au niveau des nerfs auditifs et du tronc cérébral, les scientifiques ont découvert que les poissons détectaient toutes les ondes de pression sonore supérieures à 200 Hertz. Au moyen de l’imagerie radiographique, ils ont ensuite réussi à démontrer que l’air contenu dans les poumons, de son côté, résonnait jusqu’à environ 300 Hertz.
Réitérant l’exercice à l’air libre, les biologistes danois ont constaté que les poumons du poisson pulmoné d’Afrique entendaient toujours certains sons, même si dans des proportions bien moindres étant donné la pression de l’air plus basse que celle sous l’eau.
En répétant l’expérience sur des salamandres, les chercheurs ont constaté que chez cette espèce l’éventail de fréquences perçues était beaucoup plus vaste. Celles-ci canalisent les pressions sonores de 120 Hertz et plus en dessous de l’eau, ce qui élargit également le spectre auditif sur terre. Bien que, contrairement au poisson pulmoné d’Afrique, la salamandre est munie d’une oreille moyenne, seulement les vibrations sonores reçues par les poumons ont été considérées dans l’étude des biologistes danois.
Ces résultats, mis en commun, confortent la théorie de l’évolution. La capacité des premiers tétrapodes à entendre par leurs poumons était assez développée pour engendrer, au fil des millions d’années, le développement de l’oreille moyenne. À preuve, bien avant de sortir la tête de l’eau, soit 350 à 400 millions d’années plus tôt, nos ancêtres aquatiques commençaient à avoir des poumons, indiquait au magazine Science un des auteurs de l'étude, Peter Madsen. Sans quoi, dirait Darwin, la sélection naturelle se serait déployée autrement.
Par Émilie Bergeron