
On pensait le grand requin blanc au sommet de la chaîne alimentaire et, bien qu'étant un superprédateur, il est parfois la proie de l'épaulard qui chasse en groupe. Plus intéressant et surprenant encore, des cas de plus en plus nombreux à être documentés montrent que ces grands mammifères affichent une préférence pour le foie du requin blanc1. L'une des dernières études en date apporte la preuve, grâce à une analyse de l'ADN, qu'une orque est bien à l'origine d'une morsure pectorale d'un requin échoué sur une plage auquel il manque le foie1.
Il est bon de rappeler d'abord que le régime alimentaire des orques n'est pas le même pour les groupes selon les lieux où on les retrouve. Certains groupes se nourrissent de phoques, d'otaries, de marsouins, voire de dauphins et parfois de requins, alors que d'autres se nourrissent exclusivement de poissons. Cette préférence alimentaire n'est pas dictée par une absence d'un type de proies dans leur zone respective. Les orques piscivores ne mangeront pas de mammifères qui peuvent les côtoyer et, inversement, celles se nourrissant de grands animaux marins ne consomment pas de poissons en dépit de leur présence2. C'est du moins ce qui a été observé pour ces deux grandes catégories présentes sur les côtes et au large de la Colombie-Britannique. Les épaulards piscivores se nourrissant surtout des espèces de saumons locales sont dits résidents et sont localisés habituellement le long de la côte britanno-colombienne, tandis que ceux de l'autre catégorie, qu'on appelle les nomades, se retrouvent habituellement en haute mer.
Que penser du fait que certaines orques s'attaquent au requin blanc pour ne manger que le foie. Le foie ne serait pas le seul organe sélectionné par ce cétacé. Dans certains cas, c'est la langue de baleine qui est seulement consommée. La sélection chez ce mammifère de ces organes peut paraître étonnante. Compte tenu des besoins alimentaires d'un animal de plusieurs tonnes et de la dépense d'énergie que doit représenter l'attaque d'un requin blanc, il est difficile d'imaginer que la consommation du seul foie de l'animal puisse combler les besoins de l'épaulard. Il devrait s'agir alors plus probablement d'un complément alimentaire. Le foie offrant certaines qualités nutritives que n'offrent pas forcément les autres organes. Certes, peut-être, mais comment l'orque peut-elle le savoir?
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L'écholocation
Tout comme pour les chauves-souris, nous savons que les dauphins, les baleines et les orques comptent parmi les espèces animales à pouvoir se servir du phénomène d'écholocation. Les dauphins s'en servent, entre autres, pour déterminer la forme de nouveaux objets dans leur environnement. Les baleines bleues, elles, s'en servent apparemment pour s'orienter sur de grandes distances en analysant par exemple la forme de l’écho sur des îles éloignées qu'elles reconnaissent et vers lesquelles elles souhaitent se diriger3. C'est déjà remarquable en soi. Chose encore plus étonnante, il semblerait que les orques puissent se servir de cette écholocation pour leur permettre de voir à l'intérieur du corps d'un autre animal4. En somme, en faire une échographie. En prenant connaissance de cette hypothèse pour la première fois, on reste dubitatif et perplexe. L'échographie nous semble tellement ne pouvoir être seulement qu'une technologie avancée mise au point par l'espèce humaine, comment une autre espèce pourrait-elle «échographier» le corps d'un autre animal?
C'est ici qu'il devient intéressant de faire le lien avec cette pratique de consommation sélective du foie du requin blanc. D'abord pour que la morsure soit faite à l'endroit approprié, l'organe doit, au préalable, avoir été localisé au moins une première fois avant, possiblement que cette localisation soit mémorisée pour les attaques suivantes, mais, avant tout, il a fallu au cétacé découvrir l'existence de cet organe chez ce grand poisson cartilagineux. Entre autres possibilités, la propagation des ondes sonores et leur écho doit générer un signal différent selon la composition en graisse des organes à l'intérieur d'un animal. L'échographie du requin pourrait alors être l'outil permettant au grand mammifère de connaître à la fois la localisation du foie et le fait que cet organe serait une source complémentaire de nutriments dont il a besoin. Il serait fascinant que ce phénomène puisse être prouvé. Ce comportement singulier de prédation en constitue à tout le moins un indice.