Un vieux 2x4 tiré de la benne à ordure d’un bâtiment en démolition, est-ce vraiment un déchet? Est-ce vraiment sa destinée? Peut-être est-il temps de braquer les projecteurs sur un enjeu particulier des matériaux en fin de vie : leur qualité.
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Par : Xavier Tanguay, étudiant au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke)
D’abord vient la question de « pourquoi considérer la qualité des matériaux en fin de vie ? ». Ce paramètre prend son sens lorsque vient le temps d’évaluer les débouchés qui s’offrent à eux. Par exemple, les débouchés potentiels des résidus de bois d’œuvre incluent la transformation en panneaux de lamelles orientées (panneaux OSB), en panneaux acoustiques, en paillis, en briquettes pour les foyers, etc [1]. Outre la faisabilité économique, il faut noter que certaines de ces applications possèdent des exigences techniques particulières, notamment face à la présence de contaminants, la rigidité, la géométrie, le contenu énergétique ou même sur l’apparence du résidu. Ainsi, un matériau qui arrive en fin de vie et qui est dégradé selon une ou plusieurs propriétés techniques présente une perte de qualité qui peut ensuite limiter les options en matière de débouchés.
Ensuite vient la question de « comment utiliser de façon appropriée ces propriétés techniques ? ». Un matériau pour lequel on optimise la préservation de sa qualité (donc ses propriétés techniques) en rapport à son nombre de cycles de vie est utilisé en « cascade ». L’utilisation en cascade, dans sa forme la plus simple, met en relation le nombre de cycles de vie accomplis par un matériau au travers du temps et l’évolution de sa qualité. L’usage du terme « cascade » provient de l’analogie où l’eau dans une rivière tend à s’écouler d’un point haut vers un point bas par l’intermédiaire de plateaux successifs. Pour un matériau, lorsqu’il ne possède plus la qualité requise pour un quelconque usage, celui-ci atteint aussi son point le plus « bas », tel qu’il peut être vu à la Figure 1.
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Figure 1 - Dégradation graduelle de la qualité d’un matériau à travers ses cycles de vie
Dans un projet de recherche récent du LIRIDE et mené en collaboration avec le CIRCERB (Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois), cette idée d’utilisation en cascade a été mise de l’avant du point de vue de la modélisation en analyse du cycle de vie (ACV). La cascade modélisée est constituée de cinq étapes, soit (1) la récupération de bois d’œuvre provenant d’un chantier de démolition pour produire (2) une poutre en lamellés-collés, laquelle est reconvertie en (3) un panneau OSB, ce dernier étant ensuite retransformé pour générer (4) un panneau de particules et finalement (5) brûlé pour valoriser son contenu énergétique.
Ce scénario d’utilisation en cascade soulève l’enjeu du choix de la méthode de modélisation de cycles de vie consécutifs. Il s’agit d’un problème en deux niveaux : il faut déterminer la perspective et l’approche à utiliser. Au niveau de la perspective, le choix se fait entre attributionnelle ou conséquentielle. La détermination des impacts environnementaux propres à la cascade étudiée suggère une perspective attributionnelle. Ceci revient à chercher, par exemple, combien de kg de CO2 équivalents sont attribuables à chacune des étapes de la cascade. En rappelant que dans une cascade, l’objectif est d’optimiser l’utilité du matériau avant son enfouissement final, chaque cycle est dépendant de son précédent (dû à la dégradation des propriétés techniques) et il faut, souvent, traiter les résidus (par exemple en les tamisant pour évacuer les autres débris comme les particules plus fines) avant d’établir la qualité de ceux-ci. Parmi les approches de modélisation présentées dans le blogue précédent de cette série, la modélisation sous la forme d’une course à relais est la seule qui intègre toutes ces exigences à la fois. En ce qui concerne la perspective conséquentielle, il n’y a qu’une seule approche. Celle-ci est utilisée pour déterminer les conséquences environnementales (ou encore bénéfices) d’opter pour plusieurs cycles de vie plutôt que d’enfouir le matériau. Les deux niveaux du problème sont synthétisés à la Figure 2.
Figure 2 - Détermination de l'approche de modélisation
Compte tenu de la diversité d’approches qui existe pour faire la modélisation d’une cascade, l’originalité du projet de recherche était d’étudier l’influence d’intégrer la qualité comme paramètre dans la modélisation du bilan environnemental. Ainsi, une nouvelle approche de modélisation a été proposée pour l’attribution des impacts environnementaux, permettant d’explicitement considérer la dégradation (ou l’amélioration) des matériaux entre leurs cycles de vie. Tel qu’il peut être vu à la Figure 3, avec un facteur de qualité qui s’améliore (de A vers E), les impacts environnementaux attribués au total de la cascade diminuent dans la majorité des indicateurs. Ceci confirme l’intérêt environnemental d’utiliser au maximum les propriétés techniques d’un produit ou matériau.
Figure 3 - Effet d'un facteur pour la qualité en perspective attributionnelle (A : Q = 0 ; B : Q = 0.5 ; C : Q = 1 ; D : Q = 1.25 ; E : Q = 1.5)
En perspective conséquentielle, l’intégration d’un paramètre pour la qualité met en lumière la susceptibilité d’une cascade à une mauvaise gestion des propriétés techniques : les bénéfices environnementaux peuvent devenir insuffisants face aux émissions totales. En effet, tel qu’il peut être vu à la Figure 4, avec un paramètre pour tenir compte de la qualité (d) inférieur à 0.75, la majorité des indicateurs indiquent un impact environnemental net supérieur à 0 (donc formation d’impacts nets sur l’environnement). Ceci permet d’ailleurs de relever que la perspective conséquentielle est largement plus sensible à l’intégration de la qualité que la perspective attributionnelle (Figure 3)!
Figure 4 - Effet d'un facteur pour la qualité en perspective conséquentielle
Ces résultats illustrent qu’il est important de tenir compte de la qualité dans les modèles d’ACV, encore plus lorsqu’il est question d’établir les bénéfices environnementaux de matériaux qui subissent plus d’un cycle de vie. Autrement dit, parvenir à bien user à la corde un matériau est tout sauf un enjeu simple qui est d’autant plus important pour réussir la transition vers une économie circulaire!
Pour en savoir plus sur les résultats de ce projet de recherche, vous êtes invité à consulter la publication scientifique suivante : Attributional and consequential life cycle assessments in a circular economy with integration of a quality indicator: A case study of cascading wood products. Journal of Industrial Ecology, 2021.
[1] L. Morneau, “Les résidus de construction, de rénovation et de démolition Fiches informatives,” 2009.
Xavier Tanguay, étudiant au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke)