Vu de l’extérieur, je sais bien qu'on est tenté d’associer l’idée d’un « statut » à la création d’une chasse gardée pour les journalistes —dont les blogueurs et autres « journalistes citoyens » seraient exclus. Or, ce serait plutôt le contraire : ça profitera tôt ou tard aux blogueurs.
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L’objectif premier est d’assurer qu’une information de qualité va survivre aux pressions du marché. Car pour l’instant, ce n’est un secret pour personne, ça va mal. Outre la crise que vivent les médias en général —baisse du lectorat, des revenus publicitaires, etc.— les conditions de travail des journalistes pigistes sont particulièrement mauvaises : même tarif au feuillet qu’il y a 30 ans, contrats de plus en plus courts, absence de protection, et un pouvoir de négociation réduit, voire inexistant.
Comme on peut le lire dans le rapport en question ( L’information au Québec : un intérêt public ), le libre marché a du bon... tant qu’il « peut garantir des revenus suffisants aux actionnaires ». Sauf que garantir des revenus et garantir une information de qualité, ça fait deux.
D’où la nécessité d’une intervention de l’État. « Afin d’assurer que l’offre d’information et les conditions de pratique du journalisme professionnel ne se détériorent pas davantage », écrit Dominique Payette, ancienne journaliste à Radio-Canada, professeure à l’Université Laval et auteure du rapport:
[L’État] doit le faire en tout respect de l’indispensable indépendance de la presse, mais en assumant aussi ses responsabilités. La frontière est mince.
C’est dans cette perspective que son rapport propose ce statut professionnel, assorti de cadeaux aux entreprises pour lui donner du poids : par exemple, le média qui embaucherait un certain nombre de journalistes « accrédités » recevrait un crédit d’impôt.
Et pour s’attaquer au problème propre aux pigistes, le Groupe ajoute une recommandation : que dans cette éventuelle loi sur le statut des journalistes professionnels, soit inclus un chapitre sur les journalistes indépendants, « leur octroyant des conditions apparentées à la loi québécoise sur le statut de l’artiste... permettant de négocier des conditions minimales de travail et un contrat type ». Un tel ajout mettrait un frein à la détérioration des conditions de travail —par exemple, un contrat type imposerait un tarif minimal au feuillet à un média... quelle que soit l’humeur de son éditeur. En langage juridique, on appelle ça un « droit à la négociation collective », et l’Association des journalistes indépendants du Québec précise :
Ce droit à la négociation collective, la plupart des professions le détiennent. Mais pour des raisons historico-juridiques, il a toujours été inaccessible aux journalistes indépendants, avec des conséquences désastreuses sur les journalistes eux-mêmes, bien sûr, mais aussi sur la qualité générale de l’information au Québec.
Croyez bien que je ne rêve pas en couleurs : un tel statut laisserait malgré tout une bonne partie des pigistes parmi les plus pauvres de la profession journalistique. Mais au minimum, il rehausserait le niveau et limiterait les abus —ce qui aurait du coup un impact positif sur la qualité de l'information. Dans les mots de Dominique Payette :
C’est pourquoi nous croyons que des mesures d’amélioration concrète des conditions de pratique du journalisme indépendant sont une priorité. Un titre de journaliste professionnel pour les journalistes indépendants devra contribuer à déterminer des conditions minimales d’exercice et de rémunération des journalistes professionnels indépendants (pigistes), notamment à l’aide d’un contrat type qui prévoit le respect du droit d’auteur des indépendants et une protection de ces derniers en cas de poursuite.
Avantages pour l’information scientifique
Il se trouve que le journalisme scientifique est, au Québec et ailleurs, le royaume de la pige. Hormis une poignée de journalistes à Radio-Canada, pratiquement tous ceux qui vivent de l’information scientifique sont à statut précaire (piges ou contrats à durée limitée).
Et c’est là-dedans que les scientifiques blogueurs s’infiltreront, tôt ou tard. Certains seront un jour payés à l’article, du moins, une partie de ceux qui tenteront d’en faire carrière. Et le jour où ils seront payés par un éditeur, ils se retrouveront dans le même type de rapport éditeur-auteur que les journalistes pigistes. Ce jour-là, ils seront bien heureux que des journalistes, des années plus tôt, se soient battus pour leurs droits.
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NOTE : j’ai participé en 2010 aux discussions de celle qui, parmi les quatre « tables » de la « commission Payette » (Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec), était consacrée au statut du journaliste. Toutefois, indépendamment de cela, le contenu de ce billet ne sera pas une surprise pour ceux qui me connaissent à travers mes écrits sur le journalisme à la pige (Les nouveaux journalistes, 2006).