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Le blogueur de science est-il un tigre solitaire ou un loup qui chasse en meute? Un électron libre ou un atome d’hydrogène qui s’accroche à tout ce qui passe? Chérit-il sa liberté ou rêve-t-il de jouer le jeu de ces médias qu’il aime tant critiquer?

Pendant un bref moment cet été, la désintégration du plus gros portail de blogues de science au monde, ScienceBlogs, a laissé croire qu’un chapitre de l’histoire avait pris fin et que les blogueurs en exil allaient désormais se transformer en îlots. Et puis, deux mois plus tard, plusieurs se sont regroupés sous une nouvelle plate-forme (Scientopia) d’autres ont rejoint des plate-formes déjà existantes : le magazine américain Wired, le quotidien britannique The Guardian, l’éditeur scientifique PLOS...

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Le phénomène laisse perplexe le journaliste scientifique Carl Zimmer —lui-même davantage électron libre qu’atome d’hydrogène : « pourquoi des blogueurs, brûlés par un réseau, ont-ils décidé d’en joindre un nouveau? »

« Pepsigate »

Retour en arrière. Depuis janvier 2006, ScienceBlogs —lancé à New York quatre mois après que l'Agence Science-Presse eut lancé Science! on blogue à Montréal— a largement contribué à asseoir la renommée des blogues de science —4 millions de visiteurs uniques par mois au printemps 2010— ainsi que leur crédibilité —ses biologistes, neurologues et autres médecins ont été cités autant par le New York Times que par le New Scientist. C’était une « méritocratie », déclare le journaliste Ed Yong, fier d’en avoir fait partie.

Le 6 juillet dernier, éclate la crise : l’éditeur Seed, propriétaire de ScienceBlogs —et du magazine Seed, qui a cessé de paraître depuis plus d’un an— annonce la création d’un blogue sur la nutrition... financé par Pepsi. Des blogueurs, outrés, déménagent : en un mois, ScienceBlogs en perd 23 —presque le tiers de ses effectifs. Une hécatombe dont il ne se relèvera peut-être pas (voir cette excellente synthèse de Ars Technica).

Personnellement, j’avais alors trouvé leur colère rassurante : depuis des années, les blogueurs sont tellement nombreux à se définir, non pas pour ce qu’ils sont, mais en opposition aux journalistes —« le plus gros de ce qui passe pour du journalisme scientifique est si mauvais que nous serions mieux sans lui », a écrit en plus d’un endroit un biochimiste ontarien— qu’il était sain de les voir adopter spontanément une des positions de principe les plus importantes du journalisme moderne : pas d’ingérence de la publicité dans l’information.

Mais l’histoire ne peut pas s’arrêter qu’à ça. S’ils veulent devenir une force de frappe qui compte dans l’univers de la communication scientifique, ils vont devoir faire mieux pour se définir.

Que veulent devenir les blogueurs?

En effet, qu’est-ce qui distingue les journalistes —spécialisés en science ou non— des blogueurs de science —qu’ils soient scientifiques ou non? Une chose en apparence banale, mais déterminante: les journalistes... sont payés. Et avec la paie viennent la possibilité d’assurer un suivi de multiples dossiers, et de mettre du temps sur un sujet compliqué, et d’affiner son écriture, et de travailler ses contacts, et d’être à la tâche toute la semaine, plutôt que quelques heures le samedi soir après les nouvelles.

On aimerait tous croire que les blogues sont un retour au paradis perdu, à cette époque où l’homme et sa blogueuse dissertaient en totale liberté, détachés des contraintes matérielles. Il est instructif de lire des commentaires de certains des plus prolifiques blogueurs scientifiques américains, si enthousiastes face à cette nouvelle culture qui, ils n’en doutent pas, surclassera l'ancienne... Mais la réalité revient régulièrement frapper à l’écran, sous la forme d’une demande de subvention à remplir d’urgence, d’un cours à préparer ou de copies à corriger, ce qui explique que bien des blogueurs débordant de talents soient disparus de la blogosphère au fil des ans.

Comment les blogues de science se financeront-ils? Pour l’instant, l’évolution post-ScienceBlogs laisse croire que l’instinct grégaire continue de privilégier les regroupements. Faut-il simplement attendre le jour où les meilleurs —ou les plus provocateurs, hélas— généreront assez d’achalandage pour vivre de leur blogue et laisser tomber leur « vrai job »? Peut-être. Mais ce jour-là, qu’est-ce qui les distinguera des journalistes?

Si ces regroupements se révèlent être la façon idéale d’aller chercher des sous, tant mieux. Mais cela veut dire que tôt ou tard, un autre propriétaire-éditeur-patron ira chercher un autre blogue-financé-et-géré-par-Pepsi. Ce jour-là, qu’est-ce qui les distinguera des médias qu’ils aiment détester?

Autrement dit : les blogueurs de science tiennent-ils à se définir autrement que par rapport aux seuls journalistes? Ce serait à leur avantage. Aux États-Unis, c’est le moment ou jamais : la fenêtre d’opportunité ne sera pas ouverte éternellement. Et qu’en sera-t-il dans la francophonie? Blogueurs de science, à vos claviers!

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