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Depuis des temps immémoriaux, les plantes servent aux populations du monde entier pour se nourrir, se loger, se guérir et se transporter. Encore aujourd’hui, la forêt boréale est une source de matériel, technique et génétique, à la base de nombreux produits de consommation dont nous avons besoin pour vivre.

La vision des Premières Nations et leur connaissance du territoire soulèvent des réflexions quant à notre rapport à la nature, suggérant de reconsidérer le modèle de gestion et d’exploitation des ressources pour rétablir l’équilibre entre économie, écologie et société. C’est dans une perspective de développement et de diversification, considérant le potentiel des produits forestiers non ligneux, qu’un projet d’« Inventaire sur les savoirs et connaissances des Pekuakamiulnuatsh(1) sur les plantes médicinales » a vu le jour en juillet 2010 à Mashteuiatsh, grâce au support de Forêt modèle du Lac-Saint-Jean. Entamé lors d’une recherche de maitrise en 2008, ce projet a pour but de rassembler des données sur l’utilisation médicinale des plantes de la forêt boréale, entre autres en colligeant la documentation écrite sur le sujet et en faisant appel à la tradition orale innue.

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En Amérique du Nord, l’absence d’écrits précédant l’arrivée des Européens et la difficulté d’interpréter certains types d’usages des végétaux dans les restes organiques trouvés sur les sites archéologiques ne permettent pas de connaître la manière dont les populations autochtones se servaient des plantes pour se guérir avant l’arrivée des blancs. L’ilnu-aitun (2) est transmis de génération en génération, acquis sur un très long terme et à force d’expériences, d’essais et d’erreurs. C’est par cette tradition orale que les savoirs autochtones sur les plantes se sont rendus jusqu’à nous et sont encore accessibles aujourd’hui.

Les premiers écrits sur l’utilisation des plantes en Amérique suivent donc l’arrivée des Européens. L’Arbre de vye ou Anneda, par exemple, a vraisemblablement sauvé la vie à Jacques Cartier et à son équipage, les guérissant du scorbut. Identifié par certains auteurs au Thuya occidental (cèdre), mais par d’autres au Sapin, à la Pruche ou à l’Épinette, l’arbre de vie pourrait bien être chacun de ces conifères, qui contiennent tous des flavonoïdes, antioxydants favorisant l'absorption de la vitamine C, manquante en cas de scorbut.

Prenons le Sapin baumier (Abies balsamea), qui est utilisé dans la composition de plusieurs produits domestiques et de médicaments. Il est reconnu principalement pour ses propriétés antiseptiques. Dans l’histoire, cet arbre a connu ses années de gloire. Pierre Boucher, Seigneur de Boucherville, observe et note dans son Histoire véritable et naturelle (3) de 1664, l’usage de la gomme de sapin par les Amérindiens. Ceux-ci s’en servaient comme baume pour guérir les plaies. Cet usage est encore rapporté au 18e siècle par plusieurs auteurs et entre temps, d’autres vertus se sont ajoutées à la liste : diurétique, antirhumatismal, stimulant, digestif, expectorant...

À l’époque de la Nouvelle-France, les voyageurs, les premiers colons et les médecins du Roi venus s’installer en Amérique, notamment Louis Hébert et Michel Sarrazin, récoltent des espèces végétales utilisées par les gens du pays et les envoient en France. Nombreuses sont les plantes qui se retrouvent au Jardin du Roi à Paris par exemple. Celles-ci sont ensuite étudiées pour leurs propriétés médicinales et incorporées à la pharmacopée européenne, lorsqu’elles sont prouvées être efficaces. Au cours de cette période, la résine de notre sapin canadien sera d’ailleurs reconnue comme une térébenthine médicinale de qualité supérieure utilisée dans la composition de différents remèdes.

Plus tard, au début du XXe, siècle, l’anthropologue américain Frank G. Speck, fait des séjours prolongés auprès des Amérindiens du Nord-Est. Il rapporte lui aussi l’utilisation de la gomme de sapin et de l’épinette pour traiter les coupures, brûlures, abcès ainsi que pour faire des breuvages contre la toux. Ces pratiques sont encore en usage aujourd’hui chez les Pekuakamiulnuatsh, comme l’ont révélé les entrevues réalisées auprès des aînés de Mashteuiatsh.

Des différentes manières de connaître le territoire et la forêt, les pratiques autochtones proposent des solutions durables pour permettre aux communautés locales de poursuivre la pratique d’activités traditionnelles dans une perspective de développement durable, participant aussi au maintient de l’identité culturelle et de l’équilibre écologique. Si les savoirs traditionnels autochtones sur les plantes permettent d’utiliser les ressources forestières autrement, ils montrent aussi que la culture et la nature sont imbriquées, qu’elles existent dans un rapport d’interdépendance et de réciprocité, dans un tout indivisible.

1. Innus (Ilnuatsh = Montagnais) du Pekuakami (Lac-Saint-Jean). 2. Les pratiques et savoirs traditionnels ilnu. 3. Boucher, P. L'histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France, vulgairement dite le Canada, Paris, Florentin Lambert, 1664, 168 p.

Texte et photo de Géraldine Laurendeau, étudiante à la maîtrise en ethnologie des francophones en Amérique du Nord de l’Université Laval, chargé de projet et collaboratrice de la Forêt modèle du Lac-Saint-Jean

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