SOURCES DE BIOMASSE Résidus d’usine Dans le passé, on jetait les résidus d’usine, car on les considérait comme des déchets. Jusqu’à ce qu’on décide de les valoriser. D’abord une matière première gratuite, les écorces et les sciures de bois ont graduellement pris de la valeur. Avec la récente crise forestière, l’approvisionnement en résidus a chuté et les transformateurs doivent trouver d’autres sources de biomasse forestière. Source de biomasse par excellence, tout le monde est d’accord avec l’utilisation et la valorisation des résidus d’usine.
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Résidus en forêt Lors de la récolte de bois en forêt, on ne récolte souvent que la tige (tronc), laissant derrière les cimes, les branches et les souches. Il est possible de récupérer une partie de ces résidus pour les transformer en énergie. Toutefois, il importe de laisser assez de résidus sur le parterre de coupe afin de maintenir la fertilité des sols. Des études sont en cours afin d’évaluer quelle est la quantité maximale de biomasse que l’on peut récolter selon les types de peuplement.
Selon les recherches d’Evelyne Thiffault, chercheuse au Service canadien des Forêts (SCF), « des peuplements aux sols pauvres, comme les peuplements de pins gris, sont fragiles et tolèrent mal la récolte de biomasse alors que les peuplements d’épinette noire sont plus résilients et tolèrent des taux de récolte de biomasse atteignant 50 %. Pour l’instant, la quantité maximale de résidus forestiers récupérés sur un parterre de coupe est de 50 % au Canada, car on ne peut quand même pas passer l’aspirateur pour récolter tous les débris. » De son côté, Nicolas Mainville, biologiste chez Greenpeace estime que la limite de récolte devrait être fixée à 25 % dans les zones résilientes seulement.
Arbres entiers Dans son rapport, Greenpeace parle souvent de la récolte d’arbres entiers destinés à la production d’énergie. Il faut toutefois distinguer les différentes formes d’arbres entiers, soit les arbres incendiés, les arbres malades, les arbres morts, les arbres non commerciaux et les arbres commerciaux.
Tout le monde s’entend pour dire que ce n’est pas la meilleure idée que de bruler un arbre entier de valeur commerciale en bonne santé. « Ce serait du gaspillage de couper des arbres simplement pour les bruler, croit Catherine Cobden, vice-présidente aux Affaires économiques de l’Association des produits forestiers du Canada (APFC). En ce qui a trait à la création d’emploi et de richesse dans l’industrie forestière, il est préférable d’intégrer la production de bioénergie, de produits biochimiques, de biodiesel et de biomatériaux à la production primaire de l’industrie. »
Mais certains passages du rapport de Greenpeace manquent de détails ou de nuances. Par exemple, Greenpeace montre une photo de l’usine LG à St-Félicien en l’accompagnant de la légende qui suit : « Cette usine de granules à St-Félicien au Québec transforme directement des arbres entiers pour la combustion. Les producteurs de granules à travers le pays utilisent jusqu’à 70 % de biomasse provenant directement de la forêt pour la production de granules. »
Ken St-Gelais, directeur des services financiers chez Granules LG, l’usine visée par les propos de Greenpeace, explique son point de vue. « Moins de 3 % de notre approvisionnement provient d’arbres entiers incendiés qui n’ont plus aucune valeur commerciale. Ce sont des arbres qui seraient abattus de toute façon par le MRNF pour permettre le scarifiage et ensuite le reboisement. »
Dans l’Ouest canadien, le dendrochtone du pin a ravagé de très grandes superficies de forêt. Le gouvernement a donc créé des incitatifs pour récupérer ce bois et le transformer en biomasse. Peut-être y a-t-il quelque chose de mieux à faire que de tout bruler le bois infesté, mais comme le bois se dégrade très rapidement, c’est une des seules façons d’y donner un peu de valeur, selon les experts. Le problème vient des incitatifs du gouvernement qui ont fini par pervertir le marché, déviant ainsi du bois sain vers la biomasse. Ce qui fait dire à Nicolas Mainville que « la Colombie-Britannique est sur le bord d’une dérape. » Ce qu’il appelle tendrement une biomascarade.
Carboneutre… pas vraiment Dans son rapport, Greenpeace soutient que la biomasse n’est pas carboneutre et émet plus de CO2 que les énergies fossiles. Vrai, selon Evelyne Thiffault du SCF. « C’est une erreur de dire que la biomasse est carboneutre. La biomasse forestière crée une dette de carbone lors de son utilisation. La combustion de la biomasse crée plus de carbone dans l’atmosphère que les carburants fossiles, car elle est moins dense en énergie. La biomasse émet donc plus de CO2 que le mazout, par exemple. Mais cette dette de carbone se rembourse au fur et à mesure où la forêt repousse. Si bien qu’après 4, 5 ou 6 ans (selon les cas, parfois plus), la dette de carbone est remboursée. C’est donc une énergie renouvelable qui a des bénéfices environnementaux importants lorsqu’elle est bien utilisée ».
Claude Villeneuve, professeur et directeur de la Chaire en Éco-Conseil de l’UQAC, explique que les Nations Unies ont établi une convention qui fait en sorte que la biomasse est considérée comme étant carboneutre, « car il n’y a pas beaucoup de carbone émis dans un cycle de vie complet de la biomasse. » (L’analyse de cycle de vie est un dossier complexe que l’on traitera dans un futur rapproché.)
UTILISATIONS DE LA BIOMASSE FORESTIÈRE Une efficacité variable… Les utilisations qu’on fait de la biomasse forestière ne sont pas équivalentes en terme d’émission de carbone et de rendement énergétique. Les experts cherchent donc à connaître quelles utilisations de biomasse créent la plus petite dette de carbone et les plus grands bénéfices environnementaux et sociaux. Selon les données recueillies par le Manomet Center for Conservation Sciences (2010), l’efficacité de conversion de bois vert en électricité n’est que de 25 %, celle de la production de chaleur par combustion d’éthanol cellulosique est de 50 %, celle de la cogénération (production combinée de chaleur et d’électricité) à partir de bois vert est d’environ 75 % et celle de la production de chaleur par combustion de granules de bois est de 80 %.
En gros, l’utilisation de la biomasse la plus efficace est sous forme de chaleur ou combiné à la production d’électricité. Alors que la production d’électricité seule n’est efficace qu’à 25 %, l’Ontario a décidé de convertir ses centrales au charbon à la biomasse forestière nécessitant beaucoup de matière première. En voulant remplacer le charbon par la biomasse, l’Ontario mettra sans doute plus de pression sur les forêts, mais « la réalité au Québec est différente, car l’industrie est basée sur un modèle coopératif à petite échelle », note Mme Thiffault.
« Un filet mignon en steak haché » « Il y a de bonnes choses dans le rapport de Greenpeace, mais il faut nuancer les propos. Le rapport donne l’impression qu’ils mettent tout le monde dans le même panier », commente Jérôme Simard, directeur général de la Coopérative forestière de Girardville qui s’est lancée dans l’industrie de la bioénergie. « Moi aussi j’ai peur que les gros projets ternissent l’image de la biomasse. Prendre des arbres entiers sains pour faire de la biomasse c’est comme de transformer un filet mignon en steak haché ! Il vaut mieux se concentrer sur la production de chaleur pour remplacer les systèmes chauffés au mazout ou au propane », a-t-il ajouté.
Greenpeace croit tout de même à une utilisation intelligente de la biomasse à des fins énergétiques. « On invite les coopératives à se battre pour des projets locaux à petite échelle afin de rétablir crédibilité de la filière », commente Nicolas Mainville. « Avec le rapport De la biomasse à… biomascarade, on voulait sonner l’alarme et alerter gouvernement et les marchés internationaux sur les fausses allégations d’énergie carboneutre et propre. On veut démystifier les enjeux liés au carbone. »
« C’est bien beau de sonner l’alarme, mais soyons quand même raisonnables », soutient Claude Villeneuve. « Je suis d’accord avec 75 % du rapport de Greenpeace, mais on ne peut pas prendre seulement les résultats qui font notre affaire pour en faire des extrapolations. Il y a des normes sur la communication que l’on peut faire avec les analyses de cycle de vie que Greenpeance n’a pas respectées. »
Le débat est lancé. Pour le mieux, selon Steven Guilbault porte-parole d’Équiterre. « La bioénergie peut jouer un rôle important pour réduire notre dépendance au pétrole, mais il faut s’assurer de bien faire les choses. Ce serait une erreur de balayer du revers de la main un rapport comme celui de Greenpeace parce que ça ne cadre pas avec ce qu’on veut faire. En travaillant ensemble, en débattant, en échangeant, on va arriver à trouver de meilleures solutions. »
Justement, Nicolas Mainvile, biologiste chez Greenpeace, et Patrice Mangin, professeur à l’UQTR, débattront publiquement sur le sujet le 14 décembre prochain à l’Hôtel des Gouverneurs de Trois-Rivières à 12 h. Pour plus d’informations : http://www.greenpeace.org/canada/fr/Blog/biomasse-ou-biomascarade-dbat-trois-rivires-l/blog/38147/