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Sans surprise, un tribunal de New York a statué que le Huffington Post n’est pas obligé de payer ses blogueurs. Ça allait de soi. Même ceux qui jugent que cette évolution n’est pas saine pour l’avenir du journalisme, ne s’attendaient pas à ce que quiconque soit légalement obligé de payer ses auteurs.

D’autant qu’il y a un fort courant d’idées, que je crains être de plus en plus puissant, voulant que, désormais, en notre ère de journalisme citoyen et de médias sociaux, l’écriture devrait relever du bénévolat.

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Les auteurs doivent abandonner l’idée qu’ils méritent d’être payés, disait récemment l’auteur et consultant en marketing Seth Godin —et des milliers de personnes de se mettre à l’applaudir.

Quand ce discours provient d’Ariana Huffington, on ne s’en étonne pas —ceux qui prétendent que les blogueurs devraient être payés n’ont rien compris à Internet, disait-elle cet hiver à Montréal. Mais on s’étonne un peu plus de l’entendre dans la bouche de quelqu’un comme Godin, qui a lui-même écrit des livres, fussent-ils sur le numérique. Et surtout, on s’étonne que si peu de journalistes protestent.

Sont-ils à ce point convaincus que cette discussion ne les concerne pas puisque eux, journalistes, dépasseront toujours d’une tête tous ces « sous-journalistes »? C’est faire peu de cas de la réalité : aux yeux d’un très grand nombre de lecteurs, l’information a peu de valeur monétaire, peu importe qui l’écrit. Entre une information payante, et une information gratuite, fut-elle de moindre qualité, la gratuite sera privilégiée par une majorité.

Le sort de l’information qui tient à coeur aux journalistes scientifiques et à leurs comparses blogueurs repose donc —si on fait abstraction de la publicité— sur une minorité de citoyens, ceux qui sont disposés à payer pour une information différente.

Certes, ces citoyens existent : ce sont ceux qui, déjà, s’abonnent pour traverser le mur payant du New York Times , du Devoir, de Médiapart. Mais combien sont-ils? En attendant que la publicité dans les médias numériques remplisse ses promesses, combien de médias déjà existants ou d’initiatives comme Nouveau Projet réussiront à survivre grâce à ces généreux citoyens? Et combien d’initiatives « non rentables » —ces broutilles comme l’enquête, l’analyse approfondie ou le journalisme scientifique? Sommes-nous vraiment convaincus du bien-fondé de cette stratégie du « un à un » —toute géniale idée ira prétendument chercher ses lecteurs un par un— dont les gourous du Web 2.0 nous rabattent les oreilles depuis près de 20 ans?

Juste au cas où on se tromperait, ne serait-il pas temps de remettre à jour les programmes gouvernementaux d’aide aux médias, comme le suggérait le journaliste Hugo Prévost en février? (un texte republié, ce n’est pas une coïncidence, par les organisateurs d’un congrès sur le journalisme de demain, tenu à Montréal ce mois-ci)

Ou alors, l’avenir est-il à l’hyper-spécialisation, à ces médias « de niche »? La dernière édition du rapport State of the News Media leur consacre quelques paragraphes : aux États-Unis, ils continuent de croître, bien qu’à une allure incertaine. Qu’en sera-t-il dans les marchés plus petits, comme le Québec? Combien de journalistes —ou blogueurs, ou auteurs, peu importe l’étiquette— pourront vivre de leur plume, si de plus en plus de médias décident de s’alimenter à des blogueurs et collaborateurs bénévoles... et si ni les annonceurs, ni les lecteurs, ni même certains journalistes, n’y voient de problème?

Ces questions, Seth Godin ne les pose pas, parce que je soupçonne qu’il n’y a jamais pensé : dans son univers mental, il suffit d’être bon... et ce sera rentable. Mais ces questions sont au coeur de ce qui sera le futur de notre société de l’information.

Je me demandais comment conclure ce billet, et Pierre Foglia m’en a fourni l’idée. Dans sa chronique de samedi sur l’avenir de l’éducation universitaire, il écrit :

Vous avez un peu raison pour les ingénieurs, les médecins, les avocats, les pharmaciens, les gestionnaires, cela les dérangera de passer de 18 000$ à 33 000$ de dettes, mais pas tant que ça.

C'est une autre affaire pour les étudiants en arts, en musique, en danse contemporaine, en littérature, en sciences sociales, en sémiologie, en arts visuels...

Et on pourrait ajouter : ceux en journalisme.

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