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L'autre jour, au centre de jardinage, mon œil s'est attardé sur une boîte d'engrais qui annonçait qu'elle contenait un engrais «naturel», le guano. En fait, avant les engrais synthétiques, comme le nitrate d’ammonium —qui malheureusement vient de faire les manchettes avec l’accident à West, au Texas— tous les engrais étaient «naturels».

Mais parmi ceux-ci, peu ont une histoire aussi chargée que celle du guano. Il est difficile de s'imaginer que ce qui n'est en fait que des excréments d'oiseaux ait pu causer autant de conflits politiques, économiques et même militaires.

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Le terme «guano» vient du quechua, une des langues parlées des Andes. Il se traduit littéralement comme «fiente d’oiseau de mer». Des objets archéologiques suggèrent que les peuples andins récoltaient le guano depuis les temps les plus anciens, pour améliorer la qualité de leurs cultures. Ils le trouvaient sur les îles et les rivages sauvages de la côte du Pérou où les conditions climatiques favorisaient sa production. Un courant froid, le Humboldt, y génère des eaux extrêmement poissonneuses, ce qui favorise le développement de nombreuses colonies d’oiseaux qui, bien nourris, font d’abondants «besoins». De plus, un climat désertique, en limitant les précipitations, contribue à préserver le guano, ce qui explique que, quand les premiers explorateurs européens visitèrent les Îles Chincha, au large du Pérou, ils rapportèrent que la couche de guano était de l’ordre de 50 mètres!

Le guano est aussi présent dans d’autres pays, au Chili et en Namibie notamment. Les chauves-souris en fournissent elles aussi, mais c’est le guano du Pérou qui a la meilleure réputation. Il provient surtout d’une espèce d’oiseaux, le cormoran Guanay, dont les excréments sont particulièrement riches en azote.

Dans la première partie du 19e siècle, le commerce du guano créa un boum économique au Pérou. Malheureusement, il finit par être aussi la source de nombreux conflits. Pendant la première guerre du Pacifique (1864-1866), aussi connue sous le nom de «Guerre du Guano», le Pérou s’allia au Chili et, dans une moindre mesure, à la Bolivie et à l’Équateur, pour expulser les Espagnols des Îles Chincha, riches en guano, qu’ils avaient occupées. La deuxième guerre du Pacifique (1879-1883), pour sa part, opposa le Pérou et la Bolivie au Chili. Le commerce du guano était l’un des enjeux, mais la guerre concernait aussi le contrôle de la production de salpêtre. Ce dernier, en plus de ses propriétés d’engrais, pouvait aussi être utilisé pour la fabrication d’explosifs, d’où son importance. Cette guerre a mal tourné pour le Pérou qui a perdu ses provinces méridionales au profit du Chili. Le résultat a encore été pire pour la Bolivie qui, elle, a perdu son accès à la mer. Une situation qu’elle n’accepte toujours pas. Bien que le pays soit enclavé, la Bolivie a toujours un ministère de la Marine!

En 1913, le processus Haber-Bosch est introduit. Ce dernier, qui permet la production industrielle de composés azotés à partir de l’azote de l’air et de l’hydrogène, porte un coup fatal au guano qui ne s’en remettra jamais. Cela est tout aussi bien, car les réserves de guano n’auraient jamais pu produire les quantités d’engrais que l’agriculture moderne demande.

Toutefois, l’engouement pour l’agriculture biologique a fait que ce qu’il reste des ressources en guano est particulièrement apprécié, ressources que le Pérou gère maintenant avec précaution. Les 21 îles et les 11 caps à guano du pays ont été déclarés zones protégées. Celles-ci sont exploitées à tour de rôle pour permettre au guano de se renouveler. Et pour ne pas perturber les oiseaux, aucun engin à moteur n’est permis; c’est donc avec pelles et pioches qu’une armée d’ouvriers récolte le guano. C’est un travail de forçat qui a été traité dans une des émissions de Thalassa , l’émission de la mer de la télévision française.

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Le guano est aussi associé au «Guano Island Act». Cette loi, votée par le Congrès américain en 1856, autorise n’importe quel citoyen américain à prendre possession d’une île contenant du guano, quelle que soit sa situation géographique. Cela dans la mesure qu’à ce moment elle soit inoccupée et non soumise à la juridiction d’un autre pays. En tout et pour tout, plus de 100 îles ont été ainsi « réclamées » au nom des États-Unis. Soit disant l’île Fox dans le golfe du Saint-Laurent au Québec aurait été ainsi «réclamée» par les États-Unis en 1899… à vérifier!

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