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Depuis le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, la Bourgogne et la Champagne exultent. Un verre de pinot noir ou de pétillant à la main. Qu’elles en profitent (nous aussi) avant que les changements climatiques rebrassent la carte viticole française à l’horizon 2050! Pour traverser la tempête en douceur, des scientifiques innovent les deux pieds dans la vigne. Tour d’horizon en mode adaptation.

Coup de chaleur par-ci, canicule par-là. La fièvre guette dans les rangs. La vigne souffre. Les vignerons aussi. Et ce n’est pas fini.

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La viticulture, une des productions agricoles les plus influencées par l’évolution climatique, va subir des bouleversements de plein fouet. Températures en hausse, cycles de précipitations et d’évaporation modifiées sans parler du remaniement de la couverture nuageuse et donc de la durée d’ensoleillement. S’adapter pour survivre. Aujourd’hui plutôt que demain.

Au chevet de la vigne, des spécialistes de l’Institut national de recherche agronomique (Inra) en France testent et envisagent les meilleurs remèdes, notamment au travers du grand projet Laccave (Long term impacts and adaptations to Climate Change in Viticulture and Enology) lancé en mars 2012.

Relocalisation du vignoble? Année après année, les vignerons observent les effets des changements climatiques. Les vendanges se pratiquent déjà de deux à trois semaines plus tôt qu’il y a trente ans. Sous l’effet de la hausse des températures, les baies, plus sucrées et moins acides, donnent naissance à des vins avec plus d’alcool et un profil moins acide. Moins aromatiques aussi. Le risque? La modification du goût des vins produits aujourd’hui.

À l’horizon pointent des changements plus radicaux encore : impact sur les rendements et les cépages utilisés traditionnellement, relocalisation des surfaces viticoles vers des zones plus fraîches au Nord sans parler des évolutions des maladies et autres ravageurs de la vigne.

Rien pour décourager la filière viticole et les chercheurs de l’Inra de Montpellier. Lors de la 7e Journée des sciences de la vigne et du vin tenue en avril 2015, l’unité Sciences pour l’œnologie a dévoilé un modèle informatique capable d’évaluer le potentiel qualitatif d’une vigne en fonction du climat, du sol et du mode de conduite. En clair, il donnera un coup de pouce aux vignerons pour leur dire quoi planter, où et comment… dans 30 ans afin de continuer à produire du raisin de qualité.

Par exemple, autour de Montpellier, il faudra planter la Syrah dans des zones où les nuits seront tempérées et où l’irrigation sera possible. Disponible dès la fin 2015, le modèle de l’Inra pourra s’appliquer à tous les vignobles français. De quoi intéresser vignerons et… spéculateurs fonciers.

Avec les prédictions, ils peuvent d’ores et déjà acquérir des parcelles qui feront naître les vins de qualité du futur. Comme le rappelle l’Inra dans un de ses communiqués, « une entreprise catalane l’a déjà fait! » Et, elle ne sera pas la dernière.

Jouer sur l’encépagement Plus facile à dire qu’à faire! Reste à anticiper. Et à ce jeu-là, Bordeaux dispose d’une longueur d’avance. Sur une parcelle expérimentale, baptisée VitAdapt, 52 cépages ont été sélectionnés et plantés en 2009 au cœur des Graves (appellation d’origine contrôlée ou AOC). Deux mille six cents pieds où les vedettes locales — merlot, cabernet-sauvignon ou sauvignon – côtoient des stars françaises comme le pinot noir, la syrah, le riesling et des étrangers réputés tels que le tempranillo espagnol, le sangiovese italien ou l’agiorgitiko grec pour ne nommer qu’eux.

Unique au monde, cette parcelle sera auscultée pendant au moins trente ans par un collectif de chercheurs issus de l’Inra, de Bordeaux Sciences Agro et de l’Université de Bordeaux. Au-delà d’observations du cycle végétal (maturation du raisin par exemple), de mesures de rendement, de consommation d’eau ou de résistance aux maladies, les scientifiques caractériseront les qualités œnologiques des cépages plantés par le biais de microvinifications. La production démarrera d’ailleurs avec la récolte de cette année.

L’objectif du projet est clair : « proposer une base de données de cépages fiable et claire aux professionnels si des changements sont nécessaires, tout en gardant l’identité bordelaise du vin », rappelle la chercheuse Agnès Destrac Irvine, responsable du projet, dans les pages de Sud-Ouest . La révolution de l’encépagement bordelais n’est pas pour demain, mais autant s’y préparer.

Si les chercheurs croient que le cabernet-sauvignon, cépage tardif, devrait bien s’adapter à la hausse des températures, le merlot, lui, cristallise les inquiétudes des professionnels de la vigne. Et pour cause, il constitue près de la moitié de la surface bordelaise. Un « accès de fièvre » pourrait faire sortir ce cépage précoce de sa fenêtre optimale de maturité. Avec les données issues de VitAdapt, les chercheurs pourront le savoir dans quelques années.

Désalcoolisez-moi! Dans les vignes, le mercure hausse le ton. Dans les verres, le degré alcoolique grimpe toujours plus haut. Une altitude vertigineuse qui à ses limites : le goût du consommateur (et le Code de la santé publique). Pour calmer le jeu, l’Inra a longtemps privilégié l’utilisation de levures de fermentation qui produisent moins d’alcool (transformation du sucre du raisin en alcool). Les résultats des expérimentations ont été jugés décevants.

Aujourd’hui, les procédés d’extraction de l’alcool reposant notamment sur le principe d’osmose inverse ont la côte. Qu’il s’agisse d’enlever du sucre des moûts ou d’intervenir après la fermentation en extrayant l’alcool, ils donnent les meilleurs résultats.

Une autre avenue est toute de même envisagée pour réduire le degré d’alcool sans nuire à la qualité du vin : avoir recours à des cépages « moins alcooliques » nés par croisements de cépages existants. En ligne de mire, des vins à teneur réduite en alcool. Une réalité d’ici quelques années.

Mais attention, tous ces efforts d’adaptation de la part des viticulteurs sont valables si la hausse de température se limite à 1 ou 2 °C, proche de la variabilité naturelle. Une hausse de 4 à 5 °C changerait, au contraire, le visage de la viticulture française en profondeur. De quoi brasser les cartes des AOC et remanier les notions de terroir chères aux producteurs de l’Ancien Monde.

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