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Il existe encore peu d’études répertoriant exhaustivement les usages spécifiques de l’Internet santé. Cette lacune peut sans doute s’expliquer en partie par le terrain d’étude relativement récent, la complexité de cette nouvelle réalité et par la diversité des motivations qui peuvent conduire le patient et la population générale à consulter le web pour des questions de santé. Afin de mieux comprendre quelles formes peuvent prendre ces usages et faire le point sur la situation actuelle, les travaux de chercheurs francophones (Thoër, 2012; Kivits, 2012; De Biaisi, 2014; Goulinet, 2014 et Grimaldi, 2010) nous apportent une perspective éclairante sur ces nouvelles pratiques, dont nous proposons un survol ici.

La recherche d’information

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Incontournable, cet usage est souvent la porte d’accès première de l’Internet santé. La recherche d’information peut viser à mieux comprendre un problème de santé (grave ou bénin), documenter une pathologie (pour soi-même ou un proche), se préparer à une visite chez le médecin (Henwood et al., 2003; Kivits, 2006) ou encore à améliorer son bien-être, notamment en s’informant sur les saines habitudes de vie : alimentation, exercice physique, sommeil, etc. La recherche peut également porter plus spécifiquement sur l’offre de service (proximité d’un service offert par un spécialiste, conditions d’admission, accessibilité, etc.). Certains services peuvent être offerts en ligne, par exemple la cyberthérapie, qui constitue un nouvel espace d’intervention prometteur, favorisant notamment l’accès aux soins pour les personnes dont la mobilité est réduite pour différentes considérations (personne âgée, personne handicapée, personne vivant en région éloignée, etc.).

Il est important de souligner que la recherche sur Internet n’est pas la seule source d’information santé du patient, ce dernier a généralement également recours à d’autres médias, à son réseau social et à des professionnels de santé pour répondre à ses questions.

Le partage d’expérience

L’échange d’expérience en ligne entre patients sur des questions de santé et de maladie a fait l’objet de nombreuses critiques. Cette pratique a pourtant toujours existé dans l’espace privé, mais les plateformes des médias sociaux rendent dorénavant visibles ces échanges à caractère intime et à la portée de tous. Sociologiquement parlant, il faut notamment comprendre cet usage comme une nouvelle forme de lien social (Casilli, 2010), une nouvelle manière de créer du lien et de construire un réseau d’appartenance qui se situe à l’extérieur des réseaux traditionnels familial ou social du patient.

D’autre part, différents travaux qui se sont intéressés aux communautés de patients en ligne telles que Carenity, Patientsworld et BePATIENT, établissent que « les partages d’expériences et d’informations participent à l’apprentissage social par la construction de savoirs expérientiels provenant de ces communautés d’intérêt » (De Biasi, 2014, p. 4 ), et que « les échanges, confrontations, vérifications, retours d’expériences associées à ces pratiques constituent, in fine, un nouveau champ de compétence en santé » (Goulinet, 2014, p. 1).

Comme De Biasi (2014) le souligne, nous croyons également que cet usage du Web santé est un facteur d’émancipation pour le patient. En effet, pour reprendre les mots de Grimaldi (2010, p. 94) «cette expertise, résultat de l’information, de l’expérience, de l’apprentissage, est pour l’essentiel à usage personnel, permettant aux patients de développer un partenariat avec les soignants, de discuter, voire de contester leurs propositions». Ainsi, le patient peut jouer un rôle plus actif dans la gestion de sa maladie, dans une perspective de partenariat de soins.

La participation à la construction des savoirs

Cette dernière catégorie d’usage nous conduit tout logiquement à la construction des savoirs (Ackrich et Méadel, 2002), où la parole des patients, conjuguée au développement technologique d’outils participatifs du Web social, rend possible une collaboration active entre membres d’un réseau, dans l’optique d’offrir une information utile et pertinente pour la communauté de patients.

Dans le secteur de la santé, des sites comme PatientsLikeMe font figure de pionniers. En effet, ce collectif de patients forme une communauté virtuelle à part : ses membres ne font pas qu’échanger sur les aléas de la maladie dans les forums de discussion; ils transforment leurs histoires personnelles en une vaste base de données générées à partir du « savoir expérientiel » des patients. Ces derniers sont invités, outre la participation classique au forum de discussion, à créer un profil et à partager des informations personnelles : âge, sexe, état de santé incluant les diagnostics reçus, l’évolution des symptômes, les traitements -prescrits ou non- et les effets observés. Ces informations sont notamment présentées sous forme de graphiques, permettant de se comparer et d’entrer en contact avec d’autres patients atteints de la même maladie.

Ainsi, sans se substituer au savoir médical, l'expertise du patient, à travers l’expérience de la maladie, lui permet d’élaborer des connaissances qui vont au-delà de l’anecdote ou des aspects émotionnels. En effet, selon De Biasi (2014, p. 7) « la reconnaissance des savoirs expérientiels des malades et le développement de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la communication patient-professionnel de santé pourraient être vecteurs de développement des compétences et d’enrichissement mutuel, débouchant sur un véritable partenariat ».

L’activisme en santé, un nouvel usage de l’Internet santé?

En conclusion, nous souhaitons mettre en lumière un usage très récent de l’Internet santé qui constitue une perspective de recherche des plus intéressantes, soit l’activisme en santé. Ce dernier connaît un essor important, lié au phénomène «e-patient» et aux nouveaux outils du Web social qui offrent des leviers inédits, notamment en vue d’orienter la recherche biomédicale en mettant en valeur l’expertise profane (Lay Expertise) des patients. Différentes initiatives, comme celle du Radboud REshape & Innovation Center[1], un ambitieux projet lancé en 2013, a pour objectif de mettre des outils du Web social au service des patients et de leurs proches afin qu’ils puissent exercer une plus grande influence sur la recherche, en les impliquant dans toutes les étapes du processus. Ainsi, la lutte d’influence est transposée sur le terrain de la science, par le biais du Web social, où les communautés de patients en ligne seront interpellées afin d’identifier leurs priorités et les traitements visant l’amélioration de leurs conditions de vie.

[1] Pour plus d’information sur cette initiative, consulter le site du Radboud REshape & Innovation Center à l’adresse suivante : http://radboudreshapecenter.com/

* La version originale de ce texte a d'abord été publiée sur le site e-santé communication

Références

Ackrich, M. et Méadel, C. (2002). « Prendre ses médicaments / prendre la parole : les usages des médicaments par les patients dans les listes de discussion électroniques », Sciences sociales & Santé, vol. 20, no. 1, p. 89-166.

Cassili, A. (2010). Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?, Paris, Éditions du Seuil.

De Biasi, M-A. (2014). « Réflexion sur la prise en compte des réseaux sociaux santé dans l’éducation thérapeutique du patient », Adjectif [En ligne], , page consultée le 6 octobre 2014.

Epstein, S. (1995). The Construction of Lay Expertise: AIDS Activism and the Forging of Credibility in the Reform of Clinical Trials, Science, Technology, & Human Values, 20 (4) 408-437.

Fox, S et S. Jones (2009). The Social Life of Health Information, Pew Internet & American Life Project, , page consultée le 11 décembre 2013.

Goulinet, G. (2014). Rôle socio-culturel des communautés virtuelles de patients dans le suivi des maladies chroniques. Vers un nouveau modèle d’éducation thérapeutique ? Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines [En ligne] , , page consultée le 6 octobre 2014.

Grimaldi, A. (2010). « Les différents habits de l’expert profane », Les Tribunes de la santé, no 27, pp 91-100.

Henwood, F. et al. (2003). « "Ignorance is bliss sometimes" : Constraints on the émergence of the "informed patient" in the changing landscape of health information », Sociology of Health and Illness, vol. 25, no. 6, p. 589-607.

Kivits, J. (2012). «Les usages de l’Internet-santé», Internet et santé : Acteurs, usages et appropriations, Presses de l’Université du Québec, Montréal, p. 37-56

Thoër, C. (2012). « Les espaces d’échanges en ligne consacrés à la santé. De nouvelles médiations de l’information santé », Internet et santé : Acteurs, usages et appropriations, Presses de l’Université du Québec, Montréal, p. 57-81.

Thoër, C. et Lévy, J. , sous la dir. de (2012). Internet et santé : Acteurs, usages et appropriations, Presses de l’Université du Québec, Montréal, 482 pages.

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