Un Nobel d’économie, connu pour ses expériences de lutte à la pauvreté, qui a été appelé à diriger le Bangladesh. Une avocate qui a piloté un recours collectif de 2300 femmes sur les changements climatiques devant la Cour européenne des droits humains. Et une doctorante canadienne qui a contribué à la plus grosse augmentation de salaire pour les étudiants chercheurs en 20 ans: ce sont trois des personnes choisies par la revue Nature pour son « Top10 » de ceux et celles qui ont façonné la science en 2024.
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Kaitlin Kharas a terminé cet automne son doctorat en cancer pédiatrique à l’Université de Toronto. Mais surtout, elle dirigeait depuis novembre 2023 la campagne Support Our Science lorsqu’en avril 2024, elle a été invitée au parlement d’Ottawa pour le dévoilement du budget fédéral. Un budget qui incluait des investissements inédits dans la recherche, peut-être influencés par une campagne de deux ans faite de rassemblements dans la rue, de rencontres avec des ministres et d’envois massifs de courriels.
Lancée en 2022, Support Our Science avait d’abord été dirigée par Sarah Laframboise, doctorante à l’Universite d’Ottawa. Interrogée par Nature, Kharas dit croire que le succès de la campagne vient aussi du fait qu’elle « s’alignait » avec « les priorités de l’actuel gouvernement, en mettant de l’avant la contribution économique de la recherche ». Il faudra surveiller si l’argument tiendra encore le coup en 2025.
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Muhammad Yunus doit lui aussi à un mouvement étudiant ce qui lui est arrivé en 2024 —rien de moins que la présidence du Bangladesh. Yunus est avant tout connu pour son approche de « microcrédit », c’est-à-dire de petits prêts, qui représentent souvent moins de 100$, mais qui ont contribué à transformer les vies des plus pauvres de sa société. Ayant démontré que les prêteurs en tiraient eux aussi des bénéfices —la majorité des prêts sont remboursés— celui qui était alors devenu économiste à l’Université de Chittagong a fait de l’idée, en 1983, une banque: Grameen, vouée au microcrédit —et ciblant particulièrement les femmes.
Il ne s’attendait toutefois pas à ce qu’on fasse appel à lui pour remettre sur la bonne trajectoire un pays de 170 millions d’habitants miné par la corruption et où, avant la révolte populaire d’août dernier, le gros de la police et de la justice, ainsi qu'une partie des universités et même des banques, étaient sous la coupe du parti unique. Yunus et certains des chefs de file du mouvement étudiant, tentent de mettre en place des groupes d’experts pour désormais protéger les institutions de toute future ingérence politique, mais la marche est haute, commente Nature. « Le succès du mandat de Yunus comme chef d’État par intérim dépendra, en grande partie, des protestataires étudiants qui ont aidé à le placer au pouvoir. » Leur rôle peut se comparer à celui des jeunes qui s’étaient soulevés contre les régimes autoritaires pendant ce qu’on avait appelé le Printemps arabe, en 2010. La différence est que, pour l’instant, autant les élites que les militaires du Bangladesh soutiennent le nouveau régime.
Cordelia Bähr est quant à elle une avocate suisse qui a travaillé pendant une décennie à une version inédite des poursuites en justice déclenchées pour mettre les gouvernements en face de leurs responsabilités climatiques.
Après avoir constaté en 2003 que les femmes âgées étaient celles qui étaient les plus vulnérables lors des canicules extrêmes, elle a lancé un recours collectif, rassemblant derrière elle plus de 2300 femmes aînées. D’abord devant les tribunaux suisses en 2016 —elles ont perdu devant la cour suprême en 2020— puis à la Cour européenne des droits humains, où le gouvernement fédéral suisse a été accusé de ne pas avoir respecté ses engagements de protéger la santé de cette population, en ne respectant pas ses obligations internationales de réduction des gaz à effet de serre. En avril 2024, la Cour européenne lui a donné raison.
« Un moment critique pour les poursuites liées au climat », commente Delta Merner, en charge de ce dossier à l’organisme militant Union of Concerned Scientists. Parce que les poursuites de ce genre ne semblent pas sur le point de ralentir: bien que celles des années 2010 aient presque toutes échoué, on voit poindre depuis le début de la décennie des victoires qui, petit à petit, inspirent des avocates comme Cordelia Bähr quant aux arguments à saisir.
Outre cela, la liste des personnalités de l’année 2024 de Nature inclut:
- Placide Mbala, épidémiologiste à l’Institut national de recherche biomédicale de Kinshasa, au Congo, qui faisait sonner l’alarme sur le virus Mpox bien avant l’actuelle éclosion, commencée en 2022; son équipe a publié le génome du virus cette année, et il a coordonné des activités de sensibilisation et de dépistage dans son pays, tout en s’efforçant de garder l’enjeu au centre des préoccupations des autorités sanitaires des autres continents.
- Huji Xu, rhumatologue à l’Université médicale de la marine à Shanghaï, en Chine, qui a publié en septembre les premiers résultats d’une thérapie cellulaire potentiellement « révolutionnaire » contre les maladies auto-immunes —c'est-à-dire lorsqu’un règlement du système immunitaire conduit celui-ci à attaquer son propre corps.
- Rémi Lam, chercheur chez Google DeepMind, à Londres, qui développe un système d’apprentissage-machine pour améliorer la précision des prédictions météorologiques.
- Et Wendy Freedman, une astrophysicienne de l’Université de Chicago qui a peut-être mis fin cette année au long débat sur la vitesse d’expansion du cosmos.