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À l’approche du temps des Fêtes et de l’orgie de consommation annuelle qui l’accompagne, la campagne « Épargnons nos ressources », de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) lancée en France un peu avant le Vendredi fou a généré tout un débat. Dans quatre publicités, on voit en effet un « dévendeur » suggérant aux gens de ne pas acheter un produit neuf mais plutôt de réparer ceux que l’on possède déjà, de louer, d’acheter des choses usagées ou de ne rien acheter du tout. Il n’en fallait pas plus pour que les représentants de l’industrie et du commerce, de même que le ministre de l’Économie, fustige la campagne et évoquent même des « mesures légales » pour la faire taire ! Que nous révèle cette histoire sur le monde dans lequel nous vivons ? Et qu’a-t-elle à dire sur les mécanismes de conditionnement qui sont à l’œuvre ici ? Voilà deux questions que je voudrais aborder aujourd’hui en relation avec l’écriture de mon livre.

Car s’il y a un thème qui remonte à très loin sur l’origine de ce projet, c’est sans doute celui du conditionnement de nos cerveaux. Je me rappelle d’une des nombreuses bières que l’on a prises, mon éditeur David Murray et moi, quand il me demandait périodiquement comment nous pourrions « faire un livre sur le cerveau » qui pourrait s’inscrire dans le catalogue progressiste et de justice sociale d’Écosociété. Il y avait plusieurs angles possibles, bien entendu, tout ce que font les humains impliquant d’une manière ou d’une autre leur cerveau. Mais je crois que c’est lorsque je lui ai lu cette citation d’Henri Laborit qu’il a « pogné de quoi », comme on dit :

« Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra dans sa vie d’adulte une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais. ».

Et c’est en lui expliquant qu’à mon avis Laborit n’allait pas trop loin là-dessus qu’on a commencé à envisagé un livre qui pourrait traiter à la fois de la complexité des systèmes nerveux et des sociétés qui les façonnent et les contraignent. Ce que je crois avoir réussi en grande partie à faire après trois ans et demi d’écriture et de réécriture !

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Pour revenir à l’excellent article de Damien Hallegatte qui m’a fait connaître l’histoire des « dévendeurs » français, je vous partage l’extrait qui m’a le plus marqué :

« Un indice du chemin pour y parvenir se trouve dans la réplique suivante du ministre français de la Transition écologique : « Que 0,2 % du temps d’antenne publicitaire soit consacré à se demander si tous les achats sont utiles, franchement, vu les enjeux de transition écologique, ça ne semble pas déraisonnable. » La réalité est que 99,8 % du temps d’antenne publicitaire, pendant les trois semaines qu’aura duré la campagne en France, auront été consacrés à la stimulation de la demande. Le reste du temps, c’est 100 %, comme dans la plupart des pays du monde.

Nous ne pourrons considérer sereinement l’inévitable décroissance qu’à partir du moment où nous arrêterons de la voir négativement. Pour ce faire, interdire toute forme de stimulation de la demande, et notamment toutes les publicités commerciales, serait un grand pas. On les remplacerait par des publicités faisant la promotion de la sobriété. »

Cette proposition peut sembler radicale, mais lorsqu’on regarde en ce moment le cirque qui se déroule à la COP28 à Dubaï (aux Émirats arabes unis, ça ne s’invente pas !) et l’ONU qui avertit que le monde va faire face à un réchauffement de 2,5 °C à 2,9 °C d’ici 2100 avec les conséquences terrifiantes que cela implique, on peut se dire le bannissement de la publicité incitant à la consommation est plutôt un prérequis essentiel pour éviter la catastrophe…

Car oui, l’apprentissage implicite des conditionnements publicitaires imprègnent nos mémoires depuis le plus jeune âge. Et pas seulement en créant tous les besoins artificiels avec le lesquels le capitalisme carbure, mais aussi en nous rentrant dans la tête que la seule valeur des choses est leur valeur d’échange, et non leur valeur d’usage. Et ça c’est encore plus insidieux parce que ça empêche bien des jeunes, à un âge où il est pourtant essentiel de rêver d’un monde meilleur, d’avoir un imaginaire riche d’utopies.

Car une autre grande idée qui parcourt tout notre ouvrage, c’est celle d’un cerveau « prédictif », c’est-à-dire qui est constamment en train de vouloir réduire l’écart entre ses modèles du monde et ce que ses sens lui fournissent comme information. À partir de là, admettons que quelqu’un est encore capable d’imaginer un monde où il y aurait « moins de biens et plus de liens », comme le dis le joli slogan décroissanciste. Deux options s’offrent alors à cette personne en constatant que le monde actuel ne correspond pas à celui qu’elle s’imagine. Soit elle peut modifier ses modèles du monde et les rendre plus conformes à la réalité. Et c’est là que le 100% de pub nous incitant à consommer la plupart du temps aura des effets ravageurs sur ces modèles. Ou soit elle peut alors essayer d’agir pour changer ce monde et réduire l’écart entre la réalité et l’utopie espérée, ou du moins ce qui pourrait s’en approcher. Les grèves, par exemple celle des services publics actuellement au Québec, les plus importantes depuis 40 ans, en sont un bon exemple. Soigner et éduquer dans des conditions décentes, ce serait quand même un bon début…

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