Le développement d'algorithmes qui pourraient être très efficaces sur des ordinateurs quantiques a stimulé depuis une dizaine d'années les physiciens, qui cherchent maintenant à construire un tel appareil. On assiste aujourd'hui au mouvement inverse: la possibilité de disposer d'un ordinateur quantique a favorisé l'émergence d'une nouvelle branche mathématique: la théorique quantique, qui s'efforce d'utiliser des stratégies quantiques pour améliorer la prise de décision.

Vous avez tous entendu parler de la théorie de la mécanique quantique, qui décrit le monde, des quarks aux trous noirs (bien qu'il reste encore plusieurs détails fondamentaux à régler dans ce dernier cas). Depuis plus d'une dizaine d'années, les physiciens tentent de construire un ordinateur qui manipulerait directement les fonctions d'ondes, les objets de base de la mécanique quantique. En parallèle avec ces travaux expérimentaux, les informaticiens ont dépensé énormément d'énergie pour le développement d'algorithmes qui pourraient utiliser à bon escient ces ordinateurs. Les défis sont nombreux, car les effets quantiques tendent à s'estomper avec la taille du système qu'on mesure : si on regarde un seul électron ou même un petit atome, on perçoit immédiatement sa nature quantique; par contre, une bicyclette est très bien décrite par la théorie de Newton, vieille de plus de 300 ans. L'ordinateur quantique sera certainement aussi gros qu'une puce actuelle, mais devra se comporter comme un électron! Voilà qui n'est pas facile à réaliser. En attendant, les informaticiens et les mathématiciens s'amusent à développer de nouvelles applications pour ces machines du futur.

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Il y a 8 ans, le mathématicien David Meyer de l'Université de Californie à San Diego introduisit le sou quantique. Alors qu'une pièce de monnaie classique tombe toujours pile ou face (ignorons la possibilité de tomber sur la tranche), un sou quantique peut tomber du côté pile et face à la fois. Ce sou peut ainsi exister dans état mélangé (ou superposé) tant qu'une mesure n'est pas faite, par exemple en regardant la pièce.

Suivons l'exemple donné par Meyer. Deux joueurs, Jean et Adèle, s'affrontent au pile ou face. On place la pièce de monnaie dans une boîte, côté face. Adèle commence: elle peut soit, en secret, renverser la boîte soit ne rien faire. C'est ensuite au tour de Jean et, pour finir, à celui d'Adèle. Comme Adèle et Jean ignorent la stratégie de l'autre, il est impossible d'optimiser ses gains. En moyenne, pour une pièce de monnaie classique, les deux joueurs vont gagner chacun la moitié du temps.

Si par contre Adèle place dans la boîte une pièce de monnaie quantique, sans le dire à Jean, elle pourra effectuer des manipulations quantiques, alors que Jean doit se contenter d'un renversement classique. Les arguments de la preuve de Meyer sont assez complexes, mais la conclusion est surprenante: si Adèle utilise des mouvements quantiques, qui lui permettent de conserver des états superposés, alors que Jean n'applique que des mouvements classiques, elle peut s'assurer de toujours ramener la pièce de monnaie côté pile et ainsi gagner systématiquement!

Évidemment, ce petit jeu n'a vraiment aucune utilité. Pendant plusieurs années, les chercheurs se sont demandé s’il y avait moyen d'utiliser ces idées dans des cas intéressants. Récemment, un économiste, Kay-Yut Chen, et deux physiciens, Tad Hogg et Raymond Beausoleil, tous chez Hewlett-Packard, démontrèrent que l'utilisation de la théorie des jeux quantiques pourrait améliorer le processus de soumissions pour de gros projets.

Présentement, lors d'un appel d'offres, les concurrents doivent remettre leur soumission en ignorant totalement les conditions offertes par les autres soumissionnaires (à moins, bien entendu, de l'existence d'un cartel...). L'algorithme quantique proposé par les chercheurs de HP permet de partager l'information de manière anonyme et composite, un peu comme le sou quantique.

Ainsi, une compagnie qui soumissionnerait sur plusieurs projets gouvernementaux pourrait voir, lors de la fin de la première ronde de soumission, une solution composite de ses gains maximums, par exemple, lui permettant de se réajuster au vol, abandonnant un projet et misant plus sur deux autres par exemple, permettant à tout le monde de s'en sortir mieux qu'avant le système d'encan actuel.

Les algorithmes quantiques proposés par Chen, Hogg et Beausoleil ne sont pas encore parfaitement au point, mais l'intérêt suscité par ces travaux devrait amener plusieurs nouveaux chercheurs dans ce tout nouveau domaine de recherche. Le plus drôle dans tout cela est qu'il est possible d'implémenter ces algorithmes sur des ordinateurs actuels qui simulent l'ordinateur quantique. La théorie quantique des jeux referme donc la boucle: les premiers algorithmes quantiques ont suscité le développement d'ordinateurs quantiques, qui eux-mêmes intéressent les mathématiciens à repenser la théorie des jeux, mettant en place des algorithmes originaux qui se contentent des bons vieux ordinateurs... (ou peut-être sur les terminaux de Lotto-quantique-Québec?)

Décidemment, on ne peut prédire quelles directions la science prendre. C'est bien là tout l'intérêt, non?

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