Il n'y a pourtant là rien de bien mystérieux sinon l'aveuglement habituel de certains à déconsidérer les œuvres de genre et à condamner toute espèce de littérature qui ne cadre pas avec le roman bourgeois du XIXe siècle, littérature emblématique de ce qui passe pour le mainstream. Comme d'autres l'ont souligné, le Code Da Vinci est un thriller mid-list, bâti sur une bonne idée, et dont l'exécution dépend de la démonstration à l'appui des divers éléments de preuve de l'intrigue. Dans ce cas-ci, il semble que la recherche qui soutient la thèse du roman soit impressionnante (dans tous les sens du mot) puisque plusieurs y voient des vérités historiques au lieu de s'attarder à la mention “ roman ”, clairement indiquée sur la page de titre (31% des Français pensent qu’il s’agit de faits réels d'après Le Figaro web du 9 mai 2006).
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D'autres romans improbables, avant celui de Dan Brown, ont connu des destins exceptionnels et inattendus. Pensons seulement au premier roman d'Umberto Eco, Le nom de la rose (1980). Malgré un contenu dense et ardu (avec chicanes théologiques et citations latines !), ce polar médiéval connût lui aussi un succès mondial avec 16 millions d'exemplaires vendus. (Il a été largement dépassé depuis, notamment par le Code Da Vinci , qui a vendu presque trois fois plus d'exemplaires à ce jour).
Mais si je parle d'Eco, ce n'est pas non plus un hasard. Puisque tout est destin, cabale et machination… En effet, son second roman, intitulé Le Pendule de Foucault (1988), contient les mêmes thèmes que Brown exploite dans son roman. On y trouve des conspirations, les Templiers, la sémiologie et les symboles, un parchemin secret, Paris et ses monuments, etc. Mais l'œuvre d'Eco lui est supérieure, et ce, à bien des degrés. Car au lieu d'être simplement un thriller, où les péripéties abondent en alternance avec des discussions sur l'histoire de l'art, et où l'on présente des documents ésotériques comme véridiques, Eco esquisse plutôt une réflexion intelligente sur la manie des théories de conspiration et offre un récit au second degré. Bref, il expose le lecteur à une réelle aventure dans le monde de la sémiologie. De plus, et ce n'est pas là la moindre de ses qualités, le livre est bien écrit.
Si le Code Da Vinci connaît son engouement actuel, ce n'est probablement pas pour ses qualités strictement littéraires, mais parce qu'il exploite et imite certains genres en vogue, en plus de facteurs extrinsèques comme un bon marketing et un succès d'estime précoce. Ainsi, les théories de conspiration sont à la mode depuis une vingtaine d'années (sans doute sous l'influence du scandale de Watergate et du journalisme d'enquête) comme les romans ésotériques ( Le Pendule de Foucault , La Trilogie Illuminatus , Le Huit ), les enquêtes livresques ( L'Historien , La Règle de Quatre , Le Club Dumas ) et les polars dans le monde de l'art ( The Amber Room , par exemple, et ceux de Iain Pears).
De plus, le filon des religions (en passant par les Versets sataniques et la série des Left Behind ) est tout aussi vendeur. Par exemple, on peut penser aux romans de Morris West comme The Shoes of the Fisherman (1963), ou ceux de Nikos Kazantzakis comme La dernière tentation du Christ (1951) qui figurèrent à leur époque sur la liste des best-sellers, ou qui, eux-aussi, firent des vagues en parlant du Christ et du Vatican. Pourtant, un des livres précédents de Dan Brown, Anges et démons (2000), son second roman en date, avait justement comme théâtre le Vatican, et n'a pas connu le succès du Code Da Vinci. Il est probable qu'un des ingrédients majeurs expliquant l'engouement actuel se trouve dans le “ féminin sacré ”, qui sert de fondation à l'intrigue. On peut d'ailleurs remarquer depuis quelques années la résurgence de la Déesse, ou de la Divine, dans plusieurs œuvres documentaires ou de fiction (par exemple, dans le cycle de la Reine de mémoire d'Élisabeth Vonaburg).
Et comme le savent les libraires, le succès d'un livre renforce celui d'un autre. Car le lecteur qui a aimé un ouvrage recherchera un livre semblable.
C'est d'ailleurs en partie aux libraires qu'il faut attribuer ce succès. Le Code Da Vinci n'est pas le premier livre de Dan Brown. Ses romans antérieur ont connu de bonnes ventes mais n'étaient déjà plus disponibles sur les rayons des librairies après la rotation habituelle des paperback. Toutefois, les éditeurs américains ont l'habitude, lorsqu'ils sentent qu'un livre a du potentiel, d'envoyer des pré-éditions originales aux libraires new-yorkais afin de connaître leur opinion et pour mieux juger des tirages à venir. Ceux-ci ont fort bien accueilli le roman de Brown, et par le bouche-à-oreille en ont fait rapidement un best-seller lors de sa sortie.
Finalement, le secret du succès du Code Da Vinci , c'est qu'il nous offre de découvrir des énigmes passionnantes, mélangeant art et spiritualité, et de partager des secrets immémoriaux. Il n'y a pas de plus grand plaisir. Que cela reste entre nous !