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Cette semaine, ma manchette met en vedette une molécule, le phénol, qui est à l’origine des premières lois de protection du consommateur.

Nous sommes en 1890, et une épidémie de grippe (dite de type russe) fait des ravages partout en Europe. La médecine est impuissante devant une situation qui a déjà causé la mort de plus de 1 million de personnes. Toutes sortes de traitements, allant de la quinine à l’opium en passant par la salicine (un précurseur de l’aspirine), ont été essayés sans succès. La situation est particulièrement critique en Angleterre, où même le petit-fils de la Reine Victoria a succombé à la maladie. Le genre de situation dont profitent les charlatans prêts à proposer des remèdes miracles à une population paniquée. C’est dans cette atmosphère propice que la Carbolic Smoke Ball Company mit sur le marché son produit censé protéger ses utilisateurs de la maladie.

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Il s’agissait d’une poire en caoutchouc que les patients pressaient sous leur nez pour en extraire les vapeurs bénéfiques. Le principe actif à l’intérieur était supposément du phénol, aussi connu à l’époque sous le nom d’acide carbolique, d’où le nom de l’instrument. À l’époque, le phénol avait une réputation comme agent antiseptique en chirurgie, mais rien n’indiquait qu’il pouvait être utile dans la prévention des épidémies. Qu’à cela ne tienne: il n’est pas certain que la poire contenait du phénol.

Dans des annonces publiées dans les journaux britanniques, la compagnie promit 100£, une somme très importante à l’époque, à toute personne qui, après avoir utilisé le produit tel que recommandé, attraperait la grippe. Pour convaincre le public du sérieux de l’offre, la compagnie déposa les 100£ dans une banque londonienne; une mauvaise idée, comme on va le voir ci-dessous. Quoi qu’il en soit, la publicité alléchante faisait effet et la compagnie, elle, faisait fortune. Mais elle n’avait pas compté sur Louisa Carlill, une femme de tête qui, par ailleurs, avait comme atout d’être mariée à un avocat. La dame avait acheté la «Carbolic Smoke Ball», l’avait utilisée pendant deux mois, trois fois par jour, tel que recommandé, mais elle avait néanmoins attrapé la grippe. Soutenue par son mari, elle réclama à la compagnie les 100£ promises. Lorsque la compagnie refusa d’honorer son engagement, madame Carlill intenta une poursuite, utilisant ce que l’on appelle aujourd’hui le principe du «contrat unilatéral implicite». C’est dire qu’avec leur publicité, la compagnie et son directeur, un certain Frederick Rowe, avaient fait des promesses qui étaient l’équivalent d’un contrat entre eux et tous les utilisateurs du produit.

La Carbolic Smoke Ball Company essaya tous les arguments possibles pour se dépêtrer de l’affaire, déclarant, notamment, que l’offre ne pouvait être prise au sérieux et qu’elle était simplement une exagération publicitaire. Ce à quoi les juges répondirent que le fait d’avoir déposé les 100£ dans une banque londonienne était la preuve du sérieux de l’offre! Madame Carlill gagna sa cause. Grâce à elle, le principe de contrat unilatéral implicite, tel que mis de l’avant dans Carllil c. Carbolic Smoke Ball Company, est la base des relations commerciales entre les entreprises et le public. Une société ne peut pas faire dans sa publicité des promesses qu’elle est incapable de tenir.

Il est amusant de noter qu’après sa défaite, la Carbolic Smoke Ball Company lança une autre campagne publicitaire où, cette fois, elle offrait 200£ aux personnes utilisant son produit. Elle fit cette fois attention d’y inclure, en petites lettres, de si nombreuses restrictions qu’il aurait été impossible de la poursuivre. Cela n’aida pas la compagnie, qui ferma ses portes en 1896. Monsieur Rowe ne lui survécut pas longtemps et mourut des suites de la tuberculose, en 1899, à l’âge de 57 ans. Quant à madame Carlill, elle vécut jusqu’en 1942, et mourut à l’âge de 96 ans. La seule cause de décès mentionnée sur le certificat officiel est… grippe infectieuse.

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