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Deux décennies avant Dany Laferrière, un autre Québécois avait été accueilli sous la célèbre « coupole » de l’Institut de France, à Paris. Mais plutôt que l’Académie française, il s’agissait de l’Académie des sciences. Notre journaliste Luc Dupont y était allé, en quête de plus de 3 siècles de traditions. Ce texte est initialement paru le 24 mars 1998. 

On ne visite pas une académie des sciences tous les jours. Et il n’est pas courant non plus de pouvoir traverser ses salles illustres et tricentenaires, accompagné d’un scientifique… sherbrookois !

Car ce Sherbrookois est lui-même membre de cette académie. En fait, l’Académie avec un grand A, la prestigieuse Académie des sciences de Paris, qui est à la science ce que l’Académie française est à la langue. 

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Membre aux côtés de prédécesseurs fameux: André-Marie Ampère (celui des ampères!), Alessandro Volta (la pile électrique), Albert Einstein, Marie Curie, Pierre-Gilles de Gennes (Nobel de physique 1991), Pierre Deslongchamps fut le premier Québécois introduit comme « associé étranger » à l’Académie des sciences. Einstein, Edmund Halley (la comète) et Charles Darwin eurent, en leur temps, ce statut. 

Chimiste et actuel directeur du Laboratoire de synthèse organique de l’Université de Sherbrooke, il fut reçu à l’Académie en mars 1995 pour avoir apporté, dans les années 80, une contribution remarquable à la chimie: la « construction », avec ses étudiants, d’une molécule excessivement complexe, que l’on disait quasi impossible à synthétiser: le ryanodol. Et surtout, pour avoir créé, à travers cette synthèse, des stratégies de reconstruction moléculaire inédites, susceptibles d’alimenter au siècle prochain, tous ces grands fabricants de molécules que sont les compagnies pharmaceutiques. 

Le Palais de l’Institut

Nous avions rendez-vous avec lui à 15 heures au Palais de l’Institut, à Paris, à deux pas de la Seine. Là logent non seulement l’Académie des sciences, mais aussi ses quatre « soeurs »: l’Académie française, celle des Beaux-Arts, des Inscriptions et Belles-Lettres, et celle des Sciences morales et politiques. 

Ce jour-là, comme chaque lundi, les académiciens se réunissent dans la Grande salle des séances, pour leur exercice public hebdomadaire. Décor impressionnant: grande aire rectangulaire qui fait un peu penser à un salon de l’Assemblée nationale, où murs et plafond sont complètement recouverts de boiseries et de tableaux, où des niches creusées dans les murs abritent des bustes et des statues de quelques Grands Immortels. 

Ces séances publiques, partie visible de la vie de l’Académie, sont assez courtes —une heure— et consacrées à l’actualité scientifique. Les académiciens y entendent un court exposé donné par un des leurs, sur un sujet de pointe (génétique, fractale, cancer…). On en profite aussi pour accueillir les scientifiques célèbres de passage en France. 

Comme les autres associés étrangers, occupés pour la plupart par leur travail chez eux, Pierre Deslongchamps n’assiste que rarement à ces séances. Cependant, comme la majorité des académiciens, il est impliqué à un niveau ou à un autre dans les nombreux travaux qui composent la partie moins visible de l’Académie. « Je siégerai bientôt au comité éditorial des Compte rendus de l’Académie (revue savante où les scientifiques font paraître des résultats de recherches de pointe). On m’a aussi demandé de faire partie du comité d’orientation d’une École Polytechnique. Enfin, je pourrais, au besoin, intervenir sur des sujets touchant ma discipline, la chimie, qui ressurgiraient dans l’actualité. »

L’Académie des sciences de Paris travaille en ce moment à la production de cinq rapports, touchant notamment à l’avenir de la recherche, au français dans les publications scientifiques et à la pollution atmosphérique engendrée par les transports. L’Académie peut aussi jouer le rôle de « conscience scientifique ». C’est ainsi qu’elle fut récemment l’instigatrice d’un important colloque sur la possibilité de « breveter » le génome humain. 

On est loin de l’ancien rôle de « bras savant » de la bureaucratie royale qui fut celui de l’Académie durant les décennies qui suivirent sa fondation, en 1666, par l’influent Colbert, conseiller de Louis XIV.

Benjamin à 40 ans

Sur les banquettes réservées aux visiteurs, nous sommes à quelques mètres des académiciens. Une centaine sont présents, en tenue de ville: l’habit officiel —veste et pantalon recouverts de broderies, gilet, épée et bicorne!— est réservé aux séances solennelles, celles que l’on tient deux ou trois fois l’an sous la Coupole, une autre salle du Palais de l’Institut.

Un très grand nombre de têtes blanches. Les deux plus âgés sont Louis Leprince-Ringuet et Théodore Monod, respectivement nés en 1901 et 1902. Le plus jeune est Jean-Christian Yocco, un mathématicien né en 1957. En l’an 2000, les nouveaux ne pourront être âgés de plus de 55 ans lors de leur élection. Pierre Deslongchamps avait 57 ans lors de la sienne. 

Le peu de femmes est révélateur d’un passé non révolu. Elles ne sont que 13 à l’Académie, sur 452 membres. Consolation: en 1994-1995, pour la première fois de son histoire, l’Académie a élu à sa présidence une femme, la biochimiste Marianne Grunberg-Manago. 

Sous la coupole

16 heures: c’est la fin de la réunion. Pendant que les académiciens s’attardent un peu à discuter, nous sommes entraînés par Pierre Deslongchamps, dans la grande salle des séances solennelles —la « Coupole ». Majestueuse, avec sa lumière naturelle qui lui vient de l’immense coupole. En pointant un des luxueux fauteuils verts, Deslongchamps raconte: « j’étais assis juste là lors de la cérémonie qui marqua mon entrée officielle ». Et regardant l’escalier derrière nous, il ajoute: « on est descendus —la dizaine de nouveaux élus— au milieu d’un cordon d’honneur formé de gardes avec les épées et la livrée d’apparat. Les académiciens avaient revêtu leur habit officiel. Le Président Chirac était là. Quand est venu mon tour, je suis monté sur la tribune et pendant deux minutes, quelqu’un a fait mon éloge. C’était très solennel, très émouvant. Pendant ce court laps ce temps, on se prend au sérieux en maudit ! »

« N’empêche, conclut-il, que je suis fier d’être ici. Tous les grands chimistes du XIXe siècle y sont passés, dont un de mes maîtres, Victor Grignard. Et puis il y a tous les autres, que j’aurais voulu rencontrer: Pasteur, Claude Bernard… »

- Ce texte est initialement paru le 24 mars 1998.
Il est republié ici à l'occasion du 45e anniversaire de l'Agence Science-Presse

Hebdo-Science, 24 mars 1998

 

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