Je viens de terminer le dernier livre de Michael Crichton, État d'urgence (en anglais, State of fear). Rassurez-vous, je ne me recycle pas en critique de littérature!  Comme dans ses romans précédents, tels que le Parc jurassique et la Proie, Michael Crichton nous présente une science à la dérive, manipulée par des organisations dépourvues de scrupules. La cible, cette fois-ci, n'est pas une grosse compagnie ou un richissime excentrique,  Crichton s'attaque plutôt aux groupes de défense environnementale et aux scientifiques du monde universitaire qui soutiennent ouvertement l'existence du réchauffement planétaire.   Oui, je sais, on est ici sur le blogue de physique et non celui d'environnement.  Promis, je ne parlerais pas d'environnement, seulement de l'interaction entre la science et la politique.

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Le message martelé par un des personnages principaux d'État d'urgence est que les groupes de défense de l'environnement et les scientifiques, surtout les climatologues, ont formé une alliance qui leur permet, au profit de mensonges et de camouflage, de préserver leur financement généreux. Afin d'assurer cette manne, ils seraient même prêts à tuer et à causer les perturbations climatologiques annoncées.  Cette position est répétée en annexe, en une version légèrement édulcorée mais officielle de l'auteur.  C'est là que la fiction cède la place à l'essai.  Selon Crichton, les travaux des climatologues soutenant la thèse du réchauffement planétaire laissent de côté des informations contradictoires; de plus, ils basent une bonne partie de leurs prédictions sur le résultat de simulations numériques.  Puisqu'on peut même faire revivre des dinosaures par ordinateur, toujours selon Crichton, on ne peut certainement pas s'y fier en tant qu'outil scientifique. Mais pourquoi les scientifiques embarqueraient-ils dans une telle gamique ?  Parce que ceux-ci ont peur de nuire à leur carrière en adoptant une position à l'encontre de la majorité.

Ce genre d'histoire peut faire un bon roman (quoiqu'après avoir lu le bouquin de Crichton, je n'en sois pas si sûr), mais il n'a certainement pas grand-chose à voir avec la réalité.  Tout d'abord, il y a très peu de mes collègues qui sachent piloter un hélicoptère, tuer un homme à main nue et manier le tank avec grande dextérité.  Ensuite, la communauté scientifique est considérablement plus complexe que ce qui est décrit par l'autre et ce qui peut paraître comme des cachotteries est souvent dû à l'évolution constante de la science. Que certaines prédictions ou affirmations changent au fil du temps est tout à fait normal.  Évidemment, c'est souvent frustrant pour le public (et les politiciens) qui n'ont pas accès aux débats constants entre les spécialistes.

Ainsi, au fil du temps, les annonces publiques donne parfois l'impression de retournement complet des scientifiques sur un sujet ou un autre alors qu'en réalité, il peut s'agit de léger changement d'importance accordé à une hypothèse ou une autre.  Plus rarement, il s'agit vraiment d'une modification majeure dans notre compréhension d'un phénomène. Que voulez-vous, la science est en mouvement constant, c'est pour ça qu'on continue à la financer (heureusement pour moi et mes collègues).  Je désire quand même ajouter que la qualité des prédictions est encore pire chez les économistes et, pourtant, on utilise ces prédictions de manière quotidienne afin de mettre en place des politiques à moyen et à long terme.  

Lorsque les scientifiques discutent entre eux, les limites des affirmations, des données et des modèles sont souvent précisées ou, à tout le moins, comprises par les collègues. Ça se gâte lorsque ces mêmes résultats sont reformatés pour les médias. Les nuances sont alors gommées et on reste avec une annonce souvent beaucoup plus forte qu'elle ne l'est en réalité.  Ce problème vient à la fois des scientifiques, qui essaient d'attirer l'attention des médias, et des journalistes, qui manquent de recul pour évaluer correctement l'annonce. Lorsque vient le temps de faire des rapports, aux gouvernements ou aux organisations internationales, le sérieux revient, toutefois, et les analyses sont détaillées et complètes. Encore une fois, il y a assez d'opposition, dans les industries polluantes et chez certains gouvernements, pour garantir des rapports solides et bien étoffés.

 

Il est vrai également que la sonnette d'alarme doit souvent être tirée alors que toutes les données ne sont pas en place et que quelques questions importantes demeurent. Dans le cas du réchauffement planétaire, par exemple, on ne comprend pas encore le rôle des océans pour stabiliser le niveau de CO2 dans l'atmosphère. Malheureusement, si on ne triche pas, comme Crichton, en ne prenant que certaines données soigneusement sélectionnées, il semble, d'après les données des dernières années, que les prévisions des scientifiques sur cet problème aient été sous-estimées et non le contraire!

Et que dire des simulations?  En tant que physicien numéricien, je suis obligé de m'inscrire en faux par rapport aux commentaires de Crichton. L'ordinateur, c'est comme un crayon. On peut bien sûr dessiner des dinosaures, mais on peut aussi résoudre des équations mathématiques. La qualité d'une simulation dépend donc du modèle que l'on utilise. Il peut être bon, ou pas. Mais on ne peut rejeter pêle-mêle toutes les simulations. Après plus de 50 ans de résultats numériques dans tous les domaines, les ordinateurs sont maintenant considérés comme un outil fiable, indispensable au scientifique et au lecteur de blogue.

Pour conclure, il faut reconnaître que tous les scientifiques ne sont pas honnêtes; il en existe un certain nombre qui sont prêts à se vendre au plus offrant ou a tripatouiller des données dans l'espoir d'atteindre la gloire.  Il est vrai également que les idées dominantes exercent un poids considérable sur les chercheurs, qui peinent parfois à prendre du recul par rapport à celles-ci. Dans le cas du réchauffement planétaire, toutefois, il y a tellement d'intérêts en jeux qu'il est impossible de prétendre que ce domaine est  dominé une pensée unique.

Parmi tout ce fatras, je pense qu'on peut quand même faire ressortir un point positif du livre État d'urgence.  Qu'on soit scientifique ou non, on doit toujours rester sur ses gardes et conserver un certain scepticisme à l'endroit des grands annonces publiques, qu'elles soient scientifiques, économiques ou politiques.  Sans sombrer dans la paranoïa, à l'image de Crichton, il faut apprendre à lire en les lignes; c'est fou toute l'information qui s'y trouve!

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