Ivy Mike

10 July 1967, 1955z, NUCFLASH, COSMIC TOP SECRET, immediate to CANFORHED from NORAD.

A NUCFLASH was detected at 1945z at La Macaza AFB by VELA 4A satellite. Preliminary yield estimate from bhangmeter 7 to 12 kt. VELA sismologic data in analysis. VELA infrasound data incoming. IMMEDIATE CANGUARDIAN assessment required. ALARMCLOCK ACTIVATED. SAC DEFCON2.

FICTION

Je relis pour la vingtième fois sur le bout de papier que je tiens dans ma main moite. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, je suis couvert de sueur et j’ai du mal à reprendre mon souffle. Du message, je ne retiens que ces mots : NUCFLASH CANGUARDIAN ALARMCLOCK ACTIVATEDEn clair, une explosion nucléaire vient d’avoir lieu et la fin du monde est prévue pour 20h45 zulu, soit 16h45 à moins d’avis contraire, dont le mien!

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Il est 16h03, alerté par la sirène de raid aérien du centre de recherche comme par la première des sept trompettes de l’Apocalypse, il m’a fallu moins de 8 minutes pour courir de mon bureau du côté sud du CARDE, sauter dans ma voiture, contourner les barrières de sécurité devant des gardes médusés et me rendre au bunker de continuité du gouvernement régional situé juste à l’entrée de la base et courir comme un dératé vers la salle de communication où m’entendait ce message.

Cette sirène, je l’avais entendue des centaines fois. Elle lance une longue complainte suivie de trois cris stridents une minute avant chaque tir dans les tunnels aérobalistiques, puis juste avant la détonation un signal continu suivi de trois pulses. Mais le terrifiant hululement de l’alarme antiaérienne, c’était la première fois que je l’entendais. Je ne sais pas qui est le génie qui a inventé ce signal, mais je lui lève mon chapeau. Inutile de comprendre le code, toute personne sensée entendant ce son est immédiatement prise d’effroi, comme le montrait clairement le visage de mes collègues de travail et des gardes de sécurité que j’ai croisés dans ma course folle.

J’avais ressassé cette folle cavalcade de centaines de fois dans ma tête et je l’avais parcourue et courue des dizaines de fois, ce qui m’avait valu le surnom d’Alexis le Trotteur. En effet, par ordre direct du ministre de la Défense, lors de tous mes déplacements, je devais connaître la position du bunker antiatomique le plus proche afin de pouvoir m’y diriger en cas d’alerte. Ainsi, de mon bureau au département de physique de l’Université Laval au bunker nucléaire sous le pavillon Comtois, il me fallait entre 3 et 5 minutes selon si je courais à l’extérieur ou dans les tunnels souterrains. Le style architectural brutaliste de ce pavillon, comme celui de la future bibliothèque, ne sont d’ailleurs pas le fruit du hasard ou d’un caprice architectural, mais d’une volonté de les rendre plus résiliants aux explosions nucléaires.

Ces courses contre la montre ne manquèrent pas d’attirer l’attention des services de sécurité et des badauds qui se demandaient pourquoi je courais aussi vite. Mon histoire de couverture est que j’avais deux cours qui suivaient dans le temps, mais dans deux bâtiments séparés et que c’était la seule façon de ne pas arriver en retard pour donner mon cours. Le problème est qu’à la longue, ce genre d’histoire ne peut tenir la route. Il a donc fallu créer un cours pour justifier cette course folle. C’est comme cela que je me suis retrouvé à donner un cours sur les méthodes nucléaires en agriculture. Heureusement, je ne passe que peu de temps à l’université et c’est un de mes étudiants qui se charge de donner le cours.

Dans mes bureaux à Ottawa, je n’ai qu’à descendre au sous-sol de l’édifice où se trouve un bunker équipé des équipements de survie et de communication nécessaire. Cependant, en période d’alerte, j’aurais déjà probablement été évacué préventivement dans un centre de relocation du gouvernement fédéral comme le RUSTIC à Patawawa, si ce n’est pas directement au CEGHQ à Carp. Dans mon bureau, de Chalk River, il ne me fallait parcourir que quelques milles vers la base, alors que la résidence d’Énergie Atomique du Canada où j’habite à Deep River est équipée d’un abri atomique. Occuper simultanément 4 emplois dans 4 lieux différents sans compter les nombreuses missions à l’étranger demande toute une logistique.

Même à la campagne, je connaissais par cœur l’emplacement de tous les NUDET entre chez moi et mon chalet. Ces bunkers improvisés, supposément opérés par des spécialistes des explosions nucléaires devaient servir à informer les autorités de la position et de la force des explosions nucléaires, ainsi que de l’intensité des retombées radioactives.  Cependant, quelqu’un a compris quelque part que l’on ne pourrait guère confier la tâche critique pour la survie de la nation de mesurer les effets d’une explosion nucléaire à un chef de gare équipé d’un compteur Geiger dans un abri qui bien souvent n’était pas constitué de plus de deux rangées de blocs de béton pleins couverts de 50 cm de terre. Et, cela sans compter les problèmes de communications inhérents au fait que toutes les lignes de télégraphes passent par les grandes villes qui seront les premières cibles des bombes. Ni des situations complètement ridicules comme l’abri nucléaire de la gare de Vallée-Jonction qui avait la fâcheuse habitude de se remplir d’eau à chaque inondation de la Chaudière, ce qui arrive essentiellement tous les printemps. Complètement dysfonctionnel, ce système serait bientôt mis à la poubelle sans jamais avoir été vraiment opérationnel.

Dans les prochaines minutes, les dignitaires de la région devraient être amenés ici de gré ou de force pour assurer la survie du gouvernement canadien. Ils seront accompagnés des fonctionnaires essentiels et d’un contingent militaire. C’est à ces 400 personnes emmurées vivantes complètement autonomes pendant 30 jours, le temps que le niveau de radiation redescende à un niveau tolérable. D’ici ils pourront évaluer la situation et envoyer des messages aux malheureux laissés à eux-mêmes face à l’Armageddon pour autant que les antennes de communications survivent. C’est pourquoi nous avions aussi une ligne de communication directe avec un bunker auxiliaire de communication situé à une quinzaine de milles d’ici à Saint-Raymond de Portneuf,

C’est à tout le moins la théorie. Car si les Soviétiques visent le moindrement bien, j’aurais aussi bien pu rester dans mon bureau à siroter un café, cela n’aurait rien changé au résultat. En effet, le bunker avait été conçu en 1960, pour faire face à la menace de la première génération de missile soviétique, le SS-6. Ces missiles étaient terriblement imprécis avec une erreur circulaire probable de 3,7 km et avaient donc très peu de chance de tomber assez près du bunker pour le détruire. Sauf que la présente génération de missile, le SS-7, est au moins deux fois plus précise. Selon mes calculs, nous avons une chance sur six d’y rester, soit l’équivalent de jouer à la roulette russe. Estimation validée par un collègue ingénieur qui a insisté vaillamment que la bonne valeur était 18,7747 % grâce à ses calculs sur un ordinateur, ce à quoi je lui ai rétorqué que puisque l’évaluation de la performance du missile russe est basée essentiellement sur des photos floues et les quelques trajectoires d’essais en vol que nous avons pu étudier, que mon résultat était tout aussi bon que le sien et plus pertinent.

Évidemment, si les rouges nous font l’honneur d’un SS-9, qui devrait être en service d’ici peu, nous avons moins d’une chance sur cent de survivre. Les probabilités sont meilleures pour le trou de North Bay où elles sont d’une sur six. À moins bien sûr que les espions russes aient cru à l’histoire du bunker ultrasecret construit sous le cap Diamant pendant la Seconde Guerre mondiale pour abriter Churchill et Roosevelt et qu’ils le prennent pour cible, ce qui nous sauverait, mais sacrifierait l’essentiel de la population civile de la région. Dans tous les cas de figure, comme dans l’Ecclésiaste, les vivants envieront les morts.

Mais, nous n’en sommes heureusement pas encore là. Lors de la crise des missiles de Cuba, nous avions tellement passé proche de la guerre nucléaire que des protocoles avaient été mis en place afin d’éviter une guerre accidentelle. La règle « retaliate on confirmed hit » avait été mise en place afin d’éviter le pire. Pas plus tard qu’en mai dernier, une tempête solaire nous a fait croire un moment que les Russes étaient en train de brouiller nos radars et nos communications avant de passer à l’attaque. Heureusement que les astrophysiciens de l’US Air Force’s Air Weather Service avaient compris que le phénomène était naturel et avaient fini par convaincre les généraux de ne pas lancer les bombardiers à l’assaut de l’Union soviétique.

Le protocole ALARMCLOCK est la conséquence de deux événements distincts : l’impact d’un objet céleste à Tunguska en Sibérie en 1908 et l’accident de Goldsboro en 1961. Le premier événement possède toutes les caractéristiques d’une bombe de 10 mégatonnes explosant à haute altitude. Le second est une bombe thermonucléaire de 3 MT qui s’est armée toute seule en tombant d’un B-52 qui s’était désintégré en vol. Un seul des quatre verrous d’armement ne s’était pas engagé et cette dernière avait miraculeusement tenu le coup lors d’un impact avec le sol boueux. Ces deux événements laissaient entrevoir la possibilité qu’une attaque nucléaire soit déclenchée suite à un phénomène naturel ou un terrible accident.

Normalement, un lancement de missile serait détecté lors d’une attaque. Cependant, il existait la possibilité d’un lancement vers le sud à partir de l’Union soviétique avec le missile SS-9 ou vers le nord à partir d’un sous-marin dans le Pacifique Sud. Afin de se prémunir contre une telle attaque-surprise, le protocole ALARMCLOCK démarre un compte à rebours d’une heure avant le déclenchement automatique des hostilités, même s’il n’y a pas d’autres signes d’une attaque en cours. On s’était aussi assuré que les espions du KGB découvrent l’existence de ce protocole afin qu'ils ne tentent pas une telle manœuvre.

Moins d’une heure, c’est tout le temps dont nous disposons pour prouver que nous n’avons pas été la cible d’une attaque. Pourtant une seule question non pertinente remplit mon esprit : pourquoi moi?

Chapitre 2 : Cercle mondain

Je donne