En effet, pour pouvoir devenir chercheur scientifique, on doit aussi faire un ou plusieurs « stages post-doctoraux » — des stages de recherche dans différents laboratoires se spécialisant dans notre domaine de recherche. Puisque la recherche s’effectue à l’échelle mondiale, il est très souvent recommandé d’effectuer ces stages à l’extérieur de notre pays d’origine, question d’aller se former au-delà de notre propre culture de recherche.
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Le prix à payer pour devenir chercheur scientifique
J’avais 29 ans à la fin de mon doctorat et un petit ami qui était prêt à fonder une famille. Pas facile à faire quand on doit quitter le pays pour un minimum de trois ans ! Je fus donc placée devant le choix difficile — comme tous mes étudiants et étudiantes qui finissent aujourd’hui leur doctorat dans mon laboratoire — de mettre ma vie personnelle de côté pour suivre la carrière que je m’étais tracée.
Bien sûr, mon petit ami du temps a accepté de me laisser partir et nous avons entrepris une relation à distance. Mais comme un fort pourcentage de gens qui font ce choix, le couple n’a pas survécu à cette longue attente et il s’est dissout après deux ans.
Puisque la vie se poursuit toujours, je me suis mariée au retour de mes stages post-doctoraux et j’ai eu deux superbes enfants. Mais croyez-moi, pour beaucoup de mes étudiants et étudiantes qui doivent faire ce choix à la fin de leur doctorat, c’est une période extrêmement pénible. Les femmes sont dans la trentaine, et donc au zénith de leur capacité et désir de devenir mère.
Les hommes sont dans le même groupe d’âge et ont aussi le désir de fonder une famille. S’ils veulent partir au loin pour un stage post-doctoral qui peut durer de 3 à 5 ans, ils doivent parfois mettre leurs rêves de fonder une famille de côté pour quelques années, avec tous les risques associés aux relations à distance.
S’ils sont devenus parents durant leur doctorat, il est très difficile (parfois impossible) de prendre conjoint(e)s et enfants et de déménager outre-mer. Ils doivent donc se contenter de faire leur stage post-doctoral au Québec ou très près au Canada.
Bien que cela ne diminue pas nécessairement leur chance d’obtenir un emploi dans une université canadienne à la fin du stage post-doctoral, il est clair que lors de l’embauche, les universités pourront souvent tendre vers le candidat qui a fait des stages à l’étranger par rapport à celui ou celle qui ne l’a pas fait. Cela fait partie de la dure réalité de la carrière de scientifique.
Le choix de l'étranger
Ayant choisi de poursuivre un stage à l’étranger, j’ai d’abord effectué un stage post-doctoral avec Dr. Richard Hauger à l’université de Californie à San Diego pour deux ans. J’ai appris à cet endroit tout ce que je sais aujourd’hui dans le domaine de la neuroendocrinologie (étude des hormones), avec encore un intérêt particulier pour les hormones de stress.
Ensuite, j’ai effectué un second stage à l’université Rockefeller à New York avec Dr. Bruce McEwen, l’une des sommités mondiales dans l’étude du stress. J’y ai mis en place des collaborations de recherche portant sur l’étude des hormones de stress chez les victimes de viol et chez les survivants de l’Holocauste qui souffrent du désordre d’origine post-traumatique avec Dr. Rachel Yehuda de l'école de médecine Mount Sinai de New York, et d’autres collaborations pour l’analyse du volume de l’hippocampe — rappelez-vous... cette petite région du cerveau impliquée dans la mémoire — en lien avec les hormones de stress avec Dr. Mony deLeon de la faculté de médecine de l'université de New York.
Lorsque j’étais à San Diego et ensuite lorsque j’étais à New York, on m’a offert de devenir chercheuse aux universités dans lesquelles j’évoluais. Quand on parle de « fuite des cerveaux », c’est souvent le cas de chercheurs qui effectuent des stages post-doctoraux dans des universités hors du pays d’origine et se voient offrir un job alléchant à la fin de leur stage.
Ce fut mon cas. J’étais particulièrement intéressée par le job de New York, puisque cette ville est absolument trépidante et que pour une chercheuse scientifique, les possibilités de collaborations sont presque illimitées. Je suis allée passer l’entrevue d’embauche et c’était dans le sac. Mais je n’étais pas certaine de faire le bon choix. Je suis donc allée voir Dr. McEwen, mon mentor, pour avoir son conseil. J’étais certaine qu’il me dirait de rester à New York, mais qu’elle ne fut pas ma surprise de le voir me dire de ne pas prendre le travail !
Un conseil avisé
Il m’a dit ce jour-là quelque chose que je n’ai jamais oublié : « Tu sais Sonia, actuellement New York est une ville super pour toi, car tu peux collaborer avec des centaines de chercheurs. Tu es une excellente chercheuse, mais je sais aussi que tu veux fonder une famille. Avoir une famille à New York, ce n’est peut-être pas l’idéal. J’ai beaucoup de difficulté à t’imaginer prise sur un pont de New York avec deux jeunes poupons hurlant dans la voiture pendant des heures jusqu’à ce que tu atteignes le New Jersey ! Je vous ai souvent envié Michael Meaney et toi de vivre à Montréal, une ville calme et sûre pour les enfants, et qui offre une aussi bonne recherche scientifique qu’à New York. N’oublie jamais Sonia que la carrière est importante, mais qu’une carrière sans vie personnelle ou sans famille, ce n’est peut-être pas ce que tu veux vraiment, car réussir sa carrière, ce n’est pas réussir sa vie. »
Cinq minutes après cette conversation, je « cancellais » le travail de New York et organisais mon retour au bercail, car j’y avais été recrutée par l’Université McGill. Je n’ai jamais regretté ce geste puisqu’il est vrai que le Québec génère de l’excellente recherche scientifique, associée à des conditions d’emploi que les chercheurs américains nous envient très souvent.
En 2008, après 12 ans passés à McGill, j’ai accepté de prendre le poste de Directrice scientifique du Centre de recherche Fernand-Seguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, et d’être ainsi recrutée par l’Université de Montréal. Après 12 ans, je rentrais donc au bercail de mon université d’origine et contribuais maintenant à enseigner à des étudiants assis sur les mêmes bancs d’école sur lesquels j’avais usé mes jeans d’étudiante pendant près de 10 ans !