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Le terme «troisième culture» réconcilie les sciences de la nature et celle de la culture. Mais propose-t-il pour autant un nouveau paradigme?

Par Johanne Lebel, rédactrice en chef de Découvrir, le magazine de l’Acfas.

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Mon précédent billet, La troisième culture ou C. P. Snow revisité, traitait du clivage entre sciences et humanités, et je terminais en disant qu’il fallait non seulement créer des ponts entre les deux, mais proposer une nouvelle carte culturelle.

Comme piste à explorer, je mentionnais la «troisième culture», de John Brockman, qui définit ainsi ce terme inspiré du texte The Two Cultures and the Scientific Revolution de C.P. Snow: «La "troisième culture" fait référence aux scientifiques et autres penseurs du monde empirique qui, à travers leur travail et leurs écrits, prennent la place traditionnellement occupée par les intellectuels, et mettent de l'avant le sens profond de vos vies, redéfinissant qui et ce que nous sommes» [traduction de l'auteure].

Brockman fait donc référence à ces scientifiques-intellectuels qui, à partir de l’immense corpus de connaissances empiriques développées au 20e siècle, non seulement repensent le comment du monde, mais jouent à saute-mouton par-dessus les clôtures disciplinaires. Pensons, par exemple, à Jared Diamond et sa géohistoire, ou encore au sociologue Nicholas Christakis et sa réflexion sur la science des connexions sociales. Mais on pourrait aussi y joindre les Michel Serres, Joel De Rosnay, Ilya Prigogine, Henri Atlan, etc.

(On retrouve les «auteurs de Brockman» dans de nombreux ouvrages tirés des «conversations» ayant cours sur son site qu’est le online salon edge.org. À consulter tout particulièrement la liste des ouvrages.)

La troisième culture se définit donc ici en faisant référence aux individus. Pourrait-on alors étendre le sens du terme et l'utiliser pour nommer cette nouvelle carte culturelle couvrant le territoire du transdisciplinaire? Le terme « culture scientifique » pourrait-il convenir tout aussi bien que celui de «troisième culture»?

De la culture scientifique

La culture —au sens de littérature, arts visuels, théâtre, musique— fait de la «fiction» à partir du réel. Et souvent, elle cherche à répondre au pourquoi des choses. La culture scientifique, pour sa part, est une culture du réel. C’est un ensemble de connaissances, tirées de la méthode scientifique au sens large, qui répond à la question du comment (à partir duquel on peut alors philosopher sur le pourquoi). Les objets de cette culture devraient alors embrasser tout le réel.

De fait, le problème avec la culture scientifique c’est que 1) soit elle se restreint dans ses objets —recouvrant essentiellement ceux issus des sciences de la nature, de la physique à l’astrophysique, de la cellule à l’écologie, 2) soit on la perçoit comme était limitée à ces objets. De là, le doute récurrent sur le côté scientifique des sciences sociales et humaines. Mais l’art, la littérature, le langage, sont aussi des objets issus de l’évolution naturelle, et le regard scientifique s’y pose tout autant. Même approche objective, même désir de rendre raison. Selon la philosophe française Claudine Tiercelin, la philosophie même «non seulement peut être scientifique mais doit l'être»(1), car avec ses propres outils elle s'inscrit aussi dans l'étude fondamentale de la réalité.

La culture scientifique recouvre tout cet univers empirique à la base des penseurs de la troisième culture. Donc le terme culture scientifique pourrait être un synonyme, mais le sens qu’on lui donne ou que l'on perçoit, et l’usage qu’on en fait, sont encore trop disciplinés. Ainsi, pour se sortir du clivage entre les connaissances «dures» et «molles» parler de troisième culture me semble approprié. D'autant que le terme emmagasine ces deux grands groupes de savoirs par sa nature de troisième, qu'il est plus rapidement saisissable que «transdisicplinaire» et qu'il porte l'idée de rupture ouvrant alors vers un nouveau paradigme, une nouvelle carte englobant cette fois l'ensemble du territoire.

Nouvelle carte culturelle

D'entrée de jeu, j'ai énoncé qu'il faudrait créer une nouvelle carte «culturelle». Visiblement, on ne la voit pas encore... Au mieux, je me questionne sur la manière de la nommer, et disons que pour le moment, j'emprunte le terme de troisième culture. Pour la carte, ce sera à suivre, mais il sera sûrement question de réseaux, de complexité, d'émergence et d'évolution...

(1) «La philosophie doit être scientifique», dans La Recherche, mai 2012, p.76.

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