Tel qu'écrit précédemment, les brevets constituent en une source de revenus non-négligeables pour ses détenteurs. En effet, il permet l'octroi d'un monopole à celui qui le possède en échange d'une divulgation de l'information qu'il contient. Considéré comme une juste rétribution de l'effort généré pour la mise en oeuvre du génie de l'inventeur, la société est elle aussi gagnante à la fin du processus. Car c'est via l'amas de connaissances qu'elle permet de former, à chaque année, de nouvelles recrues qui, un jour, permettront aux connaissances techniques d'avancer un peu plus loin. Cet état de fait peut sembler très idyllique : un peu comme si un cuisinier qui passe son temps à transpirer devant son fourneau en sortait un gâteau alléchant qu'il distribue aux amateurs et qui reçoit la juste récompense, sans trop espérer d'obtenir une marge de profit très importante.
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Le régime engendré par la Loi sur les brevets se veut, idéalement, d'atteindre un tel objectif. Toutefois, bien entendu, l'influence capitaliste a modifié quelque peu cette vision des choses et la marge de profits est davantage élevée dans les faits. En soi, cela ne constitue pas une mauvaise chose pour autant : selon les lois économiques, la règle de l'offre et de la demande permet d'influencer les prix pour obtenir des bénéfices. Une société qui exploite activement son brevet pendant les 20 ans qui lui sont réservés et qui engrange d'énormes retombées peut certainement les réinvestir afin d'étendre son champ d'activités. Toutefois, l'objectif de ce billet n'est point de faire l'éloge de l'économie capitaliste du monde des brevets, mais bien d'en ressortir quelques problèmes marquants. Et cette explication n'en est qu'autrement nécessaire pour clarifier l'analyse subséquente.
En effet, il appert que l'objectif principal a, au fil des années, été malencontreusement détourné. D'autant plus que l'arrivée de la technoscience dans notre monde contemporain n'arrange pas les choses : les recherches scientifiques sont de plus en plus orientées vers leur développement pratique. L'objet obtenu à la fin de longues et ardues expérimentations doit être absolument commercialisé et, si possible, breveté. Le brevet n'est, en soi, qu'un instrument juridique permettant l'aboutissement concret de cette vision. Encore là, loin de nous l'idée de jeter le tout aux orties. Cependant, cette technoscience a jeté un flou malsain au système de rétributions, puisque la course à la brevetabilité s'est muée en une sorte d'obsession qui obscurcit le portrait. Les chercheurs en sont maintenant rendus à vouloir breveter ce qui nous semble, avec grands égards pour ces éminents cerveaux, être des découvertes. Or, le système juridique n'a pas été fait pour récompenser une découverte, mais bien une application PRATIQUE à un problème CONCRET.
Et c'est précisément là que le bât blesse. Avec l'explosion de la technique au service de la science, les instruments qui aident les chercheurs deviennent de plus en plus précis et, à chaque jour, la Science progresse rapidement. Les confins même des nanosciences et des biotechnologies ne cessent d'être mis à nu par les scientifiques, avides d'en découvrir davantage. Cet objectif, bien qu'extrêmement louable, est mis en péril grâce aux multiples brevets délivrés par les Bureaux chargés de leur octroi. En effet, si un brevet est délivré à une université ou un individu concernant une découverte d'un élément que l'on retrouve à l'état naturel, comment serait-ce possible par la suite de continuer les recherches en ce sens et d'en découvrir plus sans enfreindre les droits relatifs à la propriété du détenteur ? Celui-ci s'estimera lésé dans son droit et cherchera à nuire au développement de la découverte ou d'obtenir des redevances. Toutefois, tel n'est pas l'objectif principal du régime juridique, soit de bloquer la recherche. Il ne s'agit plus de recevoir une récompense pour les efforts fournis; il s'agit en fait de bloquer injustement l'investigation future qui y découlerait et qui est implicitement prévu par le tel régime.
L'argumentation vous semble un brin compliquée ? Prenons un exemple simple afin de l'illustrer. En 1999, un dénommé Charles M. Lieber, en association avec l'Université de Harvard, obtient un brevet portant sur des nanotiges d'oxyde métallique de formule M (1) M(2) O, où M(1) et M(2) sont des atomes métalliques. La description de l'invention prévoit la chose suivante en ce qui concerne les fameuses molécules : " In one aspect, the invention relates to a metal oxide nanorod where the metal component contains a metal (e.g., one or more) selected from the group consisting of titanium, zirconium, hafnium, vanadium, niobium, tantalum, chromium, molybdenum, tungsten, manganese, technetium, rhenium, iron, osmium, cobalt, nickel, copper, zinc, scandium, yttrium, lanthanum, a lanthanide series element (e.g., cerium, praseodymium, neodymium, promethium, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, and lutetium), boron, aluminum, gallium, indium, thallium, silicon, germanium, tin, lead, magnesium, calcium, strontium, and barium.''
Il va sans dire que la formulation est explicite : tous les éléments métalliques ou semi-métalliques visés par le brevet, de taille variant entre 1 et 200 nanomètres, sont inclus dans le brevet. Cela signifie que l'Université de Harvard et M. Charles Lieber ont, vous l'aurez deviné, un certain droit de propriété sur ces atomes. Or, ces nanotiges d'oxyde métallique se révèlent être particulièrement précieux dans l'application d'un grand nombre d'objets électroniques et optoélectroniques. Le mode de fabrication de ces nanotiges, faisant également partie du brevet, nous semble, à juste titre, justifié. Celui-ci résulte d'une activité nouvelle, inventive, n'existant pas dans l'art antérieure et extrêmement utile. Aucun problème à ce niveau. Cependant, les nanotiges ne constituent pas en soi une invention : elles ont été simplement obtenues à la suite de l'application du mode de fabrication et consistent, nous le croyons, en une simple découverte . Puisque le brevet, délivré en 1999, est encore actif et que ces nanotiges se révèlent être un constituant important dans le secteur des nanosciences, le développement technologique associé à la nanoélectronique risque d'en souffrir énormément, privant la société d'inventions et les industries d'un important apport d'argent. La recherche est donc bloquée, à moins d'obtenir une licence d'exploitation pour se faire.
Les licences ne sont toutefois pas le mode idéal de fonctionnement. Parfois, leurs coûts sont extrêmement élevées, ce qui a comme effet, encore une fois, de bloquer l'innovation.
Un autre exemple de brevetabilité de découvertes réside dans les gènes. Plusieurs n'hésitent pas à breveter une séquence d'acides nucléiques, même s'ils ne savent pas trop à quoi elle pourrait servir. Et, malheureusement, de tels brevets sont délivrés par les examinateurs. Cela constitue une flagrante violation des critères de brevetabilité : l'invention doit être nouvelle, utile et doit résulter de l'activité inventive d'un individu. En quoi est-ce inventif que de trouver une série de bases azotées sans même y avoir modifié quoi que ce soit ? La pertinence de breveter une séquence est aussi valable, en ce cas, que de demander un brevet sur la vapeur ou sur la fumée dégagée par un feu de camp (Attention, la critique est à l'égard de la brevetabilité de l'objet découvert et non contre le procédé inventif). Encore là, cela bloque l'innovation et empêche la Science de progresser, le tout résultant d'une vision à court terme plutôt qu'à long terme.
La notion de découverte versus l'invention revêt une importance critique. Nombre de brevets à cet effet démontre notre opinion en ce sens. Les examinateurs doivent donc être prudents lorsqu'ils examinent une demande pour le dépôt provisoire d'un brevet. D'autant plus qu'avec l'émergence des nanotechnologies, cette distinction peut s'avérer être plus difficile : cette nouvelle science possède un champ extrêmement large et il peut être facile de perdre de vue les 3 critères fondamentaux requis par la Loi.
Charles-Étienne Daniel