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Le 8 novembre dernier, la Cour suprême du Canada a statué sur la validité du brevet 2 163 446 du géant Pfizer. Ce brevet revendiquait une protection sur, attention, nul autre que l’illustre petite pilule bleue. Eh oui, la semaine dernière s’est achevée une véritable saga où s’affrontaient deux colosses : Pfizer, compagnie novatrice détectrice du brevet sur le Viagra et Teva, compagnie générique canadienne attaquant la validité dudit brevet.

Force est de constater que cette guerre aura des conséquences d’envergure pour les deux compagnies et pour le milieu des pharmaceutiques en général. Certains diront que le brevet venait à échéance en 2014 de toute manière; ils oublient que nous faisons ici face à une industrie où chaque mois de « monopole » compte, où quelques semaines de mise en marché valent des millions. Mais délaissons déjà de tels arguments économiques pour plutôt étudier ce que la Cour suprême nous apprend sous la plume de l’Hon. Juge Lebel.

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Dans l’intérêt du néophyte, il est à propos de définir d’abord ce qu’est un « brevet en cascade », car un tel élément est en plein cœur du débat qui nous intéresse. Cette expression réfère à un type de rédaction utilisé par les agents de brevet et généralement accepté par la communauté. Il est question de partir de revendications très larges, en l’espèce d’une formule chimique permettant la création de ni plus ni moins 260 trillions de composés. Les revendications suivantes restreignent successivement les composés dérivés de la formule initiale et, à la dernière revendication, on retrouve normalement un élément actif, lequel est manifestement visé par la protection du brevet. Dans le cas qui nous occupe, c’est le sildénafil, compris à la revendication 7, qui procure l’effet disons… distractif sur l’homme. Or, le brevet propose également un autre composé unique à sa revendication 6. Au surplus, on explique qu’un composé « particulièrement privilégié » cause une érection pénienne chez les hommes impuissants. Quel est l’impact de cette divulgation nébuleuse au plan scientifique et au plan juridique?

Nul besoin d’être doctorant en biotechnologie moléculaire pour comprendre, n’importe quel chercheur moindrement assidu vous le dira : « Il suffit de faire quelques essais afin de découvrir lequel des composés numéro 6 ou 7 agit dans le traitement de la dysfonction érectile ». Bref, on passe au test, le sildénafil procure le célèbre effet, et le voilà votre ingrédient actif! Cette réponse, ma foi, simple et fort logique met fin au problème d’ordre scientifique.

D’autre part, il s’agit, d’après la Cour suprême, d’un obstacle non négligeable en droit. C’est ce même argument, en fait, qui a eu des conséquences tragiques pour le brevet. Pourquoi?

La réponse réside dans les profondes assises du concept de « brevet ». Ce dernier n’est pas, comme certains aiment le croire, unilatéral. Il est synallagmatique, son fondement est partage, sa fonction est échange. L’objectif du brevet est, tel que la Cour suprême nous le rappelle, l’obtention d’un monopole temporel sur une invention (pour l’inventeur) en contrepartie d’une divulgation complète, incluant une description afin que la personne versée dans l’art puisse construire cette invention (pour la société). Bien que le scientifique puisse facilement discerner le composé actif du Viagra à l’aide de quelques tests, le juriste, lui, ne peut distinguer cet élément à la simple lecture du brevet. Ainsi, puisque la personne versée dans l’art ne peut reproduire l’invention grâce au texte du brevet, la Cour suprême a décidé, en l’espèce, que la divulgation n’était pas suffisante. Elle a donc déclaré la nullité du brevet.

Comme nous l’avons mentionné, de telles décisions engendrent des conséquences économiques considérables. Mais, à long terme, c’est l’impact juridique qui sera notoire. Le jugement de la Cour suprême nous rappelle le caractère social et communautaire du brevet, un fondement essentiel qu’il ne faut pas perdre de vue.

Jean-Raphaël Champagne

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