Que sa suggestion soit suivie ou non, elle permet de mesurer le chemin parcouru: il y a un an, il aurait fallu être un nerd pour la prendre au sérieux. Aujourd’hui, nous nous savons tous surveillés par la NSA (National Security Agency), Américains ou non, que nous ayons fait ou pas quelque chose de répréhensible.
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C’est la portion de cette année qu’il a vécue personnellement que raconte dans son livre Nulle part où se cacher (paru simultanément dans une demi-douzaine de langues) le journaliste américain Glenn Greenwald, celui à qui Snowden a fait ses premières révélations, en juin 2013.
Ceux qui n’ont suivi cette histoire que de loin y gagneront, parce que le livre permet de se rattraper : la complaisance choquante des géants de l’informatique qui ont ouvert toutes grandes leurs portes à la NSA; les péripéties qui ont conduit à Hong Kong puis en Russie Snowden, 30 ans, ex-employé à Hawaii d’un sous-traitant de la NSA; le gigantisme de l’appareil de surveillance; et enfin —puisqu’un livre permet de s’inscrire dans le long terme— une réflexion sur la vie privée et ce pourquoi elle vaut la peine d’être préservée:
La vie privée est essentielle à la liberté et au bonheur des hommes... Quand les individus se savent observés, ils changent radicalement de comportement. Ils s’efforcent de faire ce qu’on attend d’eux. Ils veulent s’éviter toute honte et toute condamnation. Ils y parviennent en adhérant étroitement aux pratiques sociales couramment admises, en se cantonnant dans des limites acceptées, en évitant toute action susceptible de paraître déviante de la normale.
Et si l’informatique n’est pas votre tasse de thé, ne craignez rien, parce que Greenwald était tout sauf un nerd. Avocat spécialiste en libertés civiles devenu blogueur et journaliste pour Salon puis pour The Guardian, il avait en réalité failli échapper le scoop journalistique le plus important de la décennie... parce qu’il avait négligé d’installer un logiciel d’encodage, comme une source anonyme le lui avait demandé. Source qui, des mois plus tard, allait s’avérer être Edward Snowden.
Depuis, Glenn Greenwald a décroché, entre autres récompenses, le prix Pulitzer, conjointement avec la documentaliste Laura Poitras, qui avait été elle aussi contactée par Snowden dès la première heure.
Le livre est au final un bel outil de vulgarisation sur l’espionnage électronique et ses conséquences: il nous fait sentir pourquoi nous devons nous sentir concernés, sans qu’il ne soit nécessaire de nous enterrer sous des considérations techniques. Et le fait que Greenwald soit un journaliste militant et fier de l’être le rapproche sans doute davantage du «simple citoyen»:
L’idée même que des journalistes doivent être exempts de toute opinion (...) est une concoction relativement nouvelle qui a pour effet de neutraliser le journalisme. (...) Depuis la fondation des États-Unis, le meilleur du journalisme, et le plus conséquent, impliquait souvent des journalistes engagés, un véritable plaidoyer et un dévouement au combat contre l’injustice. Au contraire, le modèle du journalisme des grands groupes médiatiques sans opinion, indolore et sans âme, a vidé l’exercice de ses attributs les plus précieux
La suite? Les nerds et tous ceux qui ont des compétences techniques ont certainement un rôle à jouer pour ramener le balancier vers «un Internet plus égalitaire». Mais ce ne sera possible que si toutes sortes de gens, dans les universités, en politique, en journalisme, et ailleurs, poursuivent le travail. En attendant, Greenwald et Snowden se réjouissent que ces révélations aient au moins «attiré l’attention du monde sur les dangers d’un État de surveillance, déclenché le premier débat planétaire sur la valeur de la vie privée de l’individu à l’ère du tout numérique et lancé une série de défis au contrôle hégémonique de l’Amérique sur Internet.» Pour un technicien de 30 ans et un «simple» blogueur et journaliste, c'est pas mal.