jvpls-debat-affichebinhan.jpg
Il y a 35 ans, une idée qui, à l’époque, avait pu paraître farfelue, allait germer parmi les médias québécois : une agence de presse spécialisée en science, destinée à alimenter les petits médias en nouvelles scientifiques.

Depuis sa fondation, l’Agence a bien changé : d’un service de nouvelles desservant l’ensemble des hebdos régionaux à ses débuts, elle est devenue, avec Internet, un imposant site d’informations scientifiques, rejoignant des centaines de milliers de passionnés chaque année, dont une importante proportion venant de France.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Nous vous proposons d’ici au 22 novembre, jour de célébration des 35 ans, de passer en revue certains des bons coups… et d’autres curiosités.

Quand la science côtoie la politique

Une semaine avant la dernière élection québécoise, avait lieu quelque chose qui —à notre connaissance— ne s'est pas produit dans beaucoup de pays: un débat sur la science entre des représentants des principaux partis politiques.

L’aboutissement, en quelque sorte, de quatre ans d’efforts, puisque c’est en 2008 que l’initiative Je vote pour la science , lancée par l’Agence Science-Presse avait fait ses premiers pas: une pétition en appelant à un tel débat, puis un questionnaire envoyé aux partis politiques en 2011 et 2012, fruit d’une initiative rassemblant désormais cinq organismes.

Entretemps, il était devenu courant d’avoir dans nos pages des articles étiquetés «science et politique»: on en trouvera un échantillon dans l’encadré. Et il y a une émission de radio dont le thème est «quand la science côtoie la politique».

La science chauffait le débat

Ça chauffait, jeudi soir dernier, au local de la chaufferie du Cœur des sciences de l’UQAM! La science a pourtant peu l’occasion de faire parler d’elle sur le plancher politique. Et il est encore plus rare que les politiciens abordent en détail les problèmes du «musellement» des scientifiques ou encore de la perte d’expertise scientifique du gouvernement québécois.

«Cela prend de la rigueur. Je suis estomaqué de constater de quelle façon certains abordent les sujets scientifiques, avec légèreté et méconnaissance», affirme Daniel Breton, candidat du Parti québécois (PQ).

«La science doit servir le bien commun. Il importe d’avoir une vision globale des questions scientifiques (défis énergétiques, développement durable, politique scientifique, etc.)», rappelait Miguel Tremblay d’Option nationale (ON). Un point de vue que semblait partager Nicolas Boisclair de Québec solidaire (QS).

Ce débat, organisé par la coalition Je vote pour la science -une initiative de cinq organismes québécois de culture scientifique, dont l’Agence Science-Presse– a été gagné par une fièvre toute électorale à quatre jours du scrutin.

Les représentants des cinq principaux partis en lice pour les élections québécoises, dont trois scientifiques de formation, y ont partagé leur vision parfois commune, mais plus souvent leurs divergences.

Le Plan Nord vu par…

La question du Plan Nord et de la préservation des écosystèmes a permis de prendre la mesure des dissidences entre partis. La Coalition avenir Québec (CAQ) soutient l’exploitation. «Pour protéger le Nord, il nous faut devenir actionnaires minoritaires afin de s’asseoir autour de la table de discussion», s’exclame Toni Rinow de la CAQ.

Cette position tranche avec celle de Nicolas Boisclair de QS. «La protection du Nord à 50%, cela signifie que 50% du territoire subira un développement dur –c’est deux fois la France! De plus, l’objectif du parti libéral ressemble plutôt à 20% de préservation. Il importe d’abord de protéger le Nord».

La question s’avère plus complexe selon le candidat de l’ON, Miguel Tremblay. «L’économie n’est pas tout. Cela nous prend des groupes d’études universitaires afin de regarder ce qui est essentiel de préserver et de créer des corridors de protection des écosystèmes». Selon Henri-François Gautrin du Parti libéral (PLQ), cela figure déjà à l’agenda du gouvernement en place. «Avec nous, le Québec aura la plus grande superficie d’aires protégées. Il faut veiller à la remise en état des sites après l’exploitation et à la question du réchauffement du Nord qui affectera les infrastructures».

Ce n’est pas la solution pour Daniel Breton, même si le PQ soutient le développement du Nord du Québec. «Il faut se méfier de l’instrumentation de la science avec l’émission de données pseudoscientifique. Ce qu’il nous faut, c’est réviser la loi «mathusalémique» sur les mines car on assiste à un néocolonialisme des minières», soutient le candidat du PQ.

Le recul de la science au gouvernement

Le musellement des scientifiques au gouvernement fédéral a également alimenté le débat. «Cela dépasse l’entendement. Cela me fait penser à Galilée face à l’Église», lance Daniel Breton.

Miguel Tremblay relève pour sa part que: «malheureusement, le Québec ne peut rien faire, cela montre que l’opacité reste présente au gouvernement fédéral, d’où la nécessité de se doter d’un pays». Le candidat du PQ ne lui a pas emboité le pas.

Cette censure ne se produirait pas au gouvernement québécois actuel. «Nous prônons un gouvernement ouvert en mettant en avant trois notions: la transparence des données, la participation citoyenne et la collaboration entre les fonctionnaires», soutient Henri-François Gautrin. Le lancement du site de données ouvertes du gouvernement québécois y contribuerait.

Ce recul de l’ouverture à la science au gouvernement fédéral trouve un écho plus discret au gouvernement québécois. La perte de l’expertise scientifique, entrainée par les départs à la retraite et une certaine rigidité de la gestion et de l’embauche des scientifiques au sein de la fonction publique, a favorisé l’émergence de secteurs vulnérables: informatique, génie civil, gestion, etc.

«Pour le Parti libéral, le partenariat public-privé est la réponse à toutes les questions. Le rapport Duchesneau (voir ici aussi) sur la réingénierie de l’État a démontré qu’une implication moindre de l’État amène des collusions, ce qui n’est pas souhaitable», affirme Nicolas Boisclair de QS.

Quelques «saines» chicanes

Placés côte à côte, deux ténors de la politique –Henri-François Gautrin du PL et Daniel Breton du PQ– se critiquaient ouvertement sur leur position respective dans certains dossiers, comme la réfection de la centrale nucléaire Gentilly-2. Au grand dam de leurs adversaires, ils ont poursuivi, à maintes reprises, leurs échauffourées verbales pendant le temps de parole des trois autres.

Le public, venu en grand nombre –les 120 places du local étaient occupées- a pu aussi assister à une guerre de chiffres, notamment autour de la réduction des gaz à effet de serre. Selon les partis, il faut diminuer entre 20 à 40% les GES, en passant par 25% pour la CAQ. «C’est juste un chiffre. Ce qui importe, c’est ce qu’on fait concrètement pour lutter contre le réchauffement climatique. Il faudrait prendre exemple sur la Californie et encourager le développement ferroviaire», affirme Toni Rinow. Car, même au Québec, c’est toujours l’auto qui prime. «Il y a cinq fois plus d’automobiles au Québec qu’en 1998. Pourtant, c’est la «génération écolo», relève Daniel Breton. Des questions se posent sur la réelle volonté de changement de la population québécoise en matière de transport.

Le Québec se doit également de passer de l’économie du savoir à la société du savoir. «L’éducation est la pépinière du changement, et la gratuité en est le miel», soutient Miguel Tremblay.

Dans un dernier tour de table, les candidats ont résumé leur position face à la science et appelé les gens à voter pour eux. Il aurait été intéressant d’organiser un échange avec la salle, ce qui aurait permis de savoir ce que le public a retenu de ce débat électoral à saveur de science.

- Article rédigé par Isabelle Burgun, 31 août 2012.

Je donne