Décrié par une minorité, louangé par la majorité, le tamiflu est dans une position paradoxale : son statut de médicament anti-grippe aviaire fait la fortune de son fabricant... mais s’il devait y avoir une véritable épidémie de grippe aviaire, le tamiflu serait relégué aux oubliettes le plus vite possible.

En fin de semaine encore, le nom " Tamiflu " est réapparu dans les pages des journaux : l’Organisation mondiale de la santé a annoncé avoir demandé à son fabricant, le géant pharmaceutique Roche, de tenir ses réserves prêtes. L’annonce, une première, suivait de quelques jours l’apparition de cas suspects en Indonésie : six des sept membres d’une même famille sont morts, et certains ont émis l’hypothèse qu’il pourrait s’agir des premiers cas de transmission de la grippe aviaire d’un humain à un autre.

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Autrement dit, ce que tout le monde craint serait peut-être arrivé : la grippe aviaire aurait subi une mutation la rendant capable de se propager entre humains.

Mais en réalité, cette mutation est tout sauf prouvé. L’Indonésie en est à présent à 32 décès attribués à la grippe aviaire et, dans tous les autres cas, un lien avec un oiseau ou de la volaille a chaque fois pu être établi.

Vers un tamiflu moins cher ?

Chez les actionnaires de Roche, on doit se frotter les mains de satisfaction : au premier trimestre 2006, les ventes avaient bondi de 22% par rapport au trimestre précédent, et de 37% par rapport au même trimestre l’an dernier, atteignant les 6 milliards $. De nombreux pays achètent tout ce qu’ils peuvent, entreposant dans la perspective d’une épidémie.

Cette croissance n’a même pas été ralentie par une étude pessimiste du New England Journal of Medicine qui, cet hiver, concluait que le tamiflu deviendra inefficace à mesure que le virus poursuivra ses mutations –et qu’en fait, il pourrait être inefficace dès la première vague d’assaut du virus.

Résultat, le fabricant n'a pas intérêt à produire un tamiflu moins cher: tôt ou tard, le médicament sera inefficace; aussi bien en vendre le plus possible et le plus vite possible!

Le mois dernier, le médecin allemand Tido von Shoen-Angerer, de la division Recherche et développement chez Médecins sans frontières (MSF), laissait éclater sa frustration : en entrevue à Nature, il déclarait avoir tenté, en vain, d’obtenir 100 000 " kits " (10 capsules) de tamiflu pour protéger le personnel de MSF. Roche lui avait répondu ne pas avoir suffisamment de réserves pour répondre à cette demande.

Depuis l'automne dernier, Roche a annoncé la signature d’une quinzaine d’ententes avec d’autres compagnies dans le but d’accroître la production du médicament, ou d'autoriser moyennant redevances, la production de copies du médicament: le chimiste de l'Université Harvard Elias Corey rapportait ainsi le mois dernier avoir mis au point un processus rapide et "peu coûteux" pour produire une copie synthétique du tamiflu.

L’objectif est, pour 2007, de produire 400 millions de " kits " de 10 capsules. Il y a trois ans, on en avait produit... 6 millions. Ça donne une idée de l’ampleur de la demande...

Très peu de ces médicaments seront toutefois destinés aux pays en voie de développement, puisque même avec une production accrue, même avec un prix de vente moins élevé, le médicament reste hors de prix pour la plupart de ces pays. Roche, rapportait Nature, facture ces gouvernements 15$, contre 18$ pour les pays plus riches.

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