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D’une part, la pandémie de COVID pourrait avoir été causée par la cohabitation de deux espèces animales qui se croisent rarement dans la nature. D’autre part, le réchauffement climatique facilite la montée vers le nord de moustiques porteurs de virus émergents. Notre société moderne se prépare-t-elle d'autres mauvaises surprises? Le Détecteur de rumeurs examine cinq facteurs en cause.


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1- Facteur aggravant : les transports modernes

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Bien avant les avions, il y avait les navires et leurs ballasts —ces grands réservoirs qui permettent d’optimiser la navigation. Les bateaux de bois utilisaient un ballast sec —des tonnes de sable, de terre et de pierre— mais les navires de métal, depuis le 19e siècle, utilisent un ballast rempli d’eau, qu’on vide une fois arrivé à destination. Les microbes y voyagent plus facilement. Historiquement, on leur doit plusieurs épidémies de choléra, aussi récemment qu’en 1992 au Pérou. Un traité international sur le nettoyage des ballasts est entré en vigueur en 2017.

Mais avec les transports aériens, les microbes peuvent désormais se répandre sur plus d’un continent en quelques jours. Ce fut le cas avec le SRAS en 2003. Les virus qui se transmettent par un moustique, comme celui du Nil occidental, survivent difficilement à un voyage en avion, mais les virus respiratoires, eux, en profitent, comme les deux dernières années l’ont amplement rappelé.

 

2- Facteur aggravant : davantage de déjections

De tout temps, les excréments humains ont été un moyen de transmission des maladies. Avant que l’on ne comprenne, au 19e siècle, que l’eau pouvait contenir des bestioles invisibles à l’œil nu, quantité d’épidémies ont été causées par des bactéries présentes dans nos selles et voyageant dans l’eau courante. Dans plusieurs pays, ça demeure un problème: en Haïti en 2010, une épidémie de choléra, amenée par des soldats népalais d’un contingent des Nations unies, a été considérablement aggravée parce que seulement 19% de la population haïtienne avait accès à des toilettes ou des latrines.

Mais les humains ne sont pas le seul problème. Les animaux d’élevage produisent eux aussi des déjections en grande quantité :  130 fois plus aux États-Unis, selon une estimation remontant à 1999. Au Canada en 1996, cela représentait en moyenne 361 millions de kilos de fumier par jour, la moitié provenant des bovins, et environ 500 millions de tonnes en 2006. La proximité de différentes espèces d'animaux d’élevage entre elles et le fait qu’une partie de ces déjections se retrouve dans les ruisseaux environnants, crée de nouvelles opportunités pour des pathogènes, grâce à la capacité qu’ont les microbes d’échanger du matériel génétique lorsqu’ils se rencontrent (appelé « transfert horizontal de gènes »).

Et leur dissémination peut être favorisée par le commerce mondialisé: c’est ce qui s’est produit en mai 2011, lorsqu’un lot de semences de Fenugrec, contaminées en Égypte par une souche jusqu’alors inconnue de l’E. coli, a provoqué une épidémie en Europe (essentiellement en Allemagne): au moins 4000 cas. À une échelle plus réduite, c’est une contamination à l’E. coli qui explique le retrait des laitues romaines et des choux-fleurs des tablettes des épiceries, au Canada, en janvier 2019.

 

3- Facteur aggravant : l’entassement des animaux et des humains

La croissance des villes a été l’une des raisons pour lesquelles l’épidémie d’Ebola de 2014 a été si meurtrière (plus de 11 000 décès) : les précédentes avaient toujours eu lieu dans des régions rurales ou des villes relativement petites, alors qu’en 2014, le virus a frappé trois métropoles. Et contrairement aux 21 éclosions précédentes qui avaient été contenues en quelques mois, celle de 2014 a duré près de deux ans et demi. La journaliste et auteure Sonia Shah écrivait prophétiquement en 2016, dans son livre Pandémie : « la même chose pourrait arriver à la variole du singe ».

On observe ce risque depuis plus longtemps encore avec la grippe, à qui l’entassement des animaux, dont la volaille et les porcs, a facilité la création de nouvelles souches, plus virulentes.

Il faut se rappeler que les virus grippaux proviennent, à l’origine, d’oiseaux sauvages. À l’occasion, certains atteignent des élevages de volailles. Et les plus virulents d’entre eux, comme celui actuellement en cours, se font appeler « grippes aviaires hautement pathogènes ». En 1997, une de ces grippes, H5N1, s’est révélée capable d’infecter des humains. Bien que les cas restent très rares, depuis cette date, plus de la moitié des personnes infectées en sont mortes. Le H5N1 s’est propagé dans des élevages à travers le monde, et il continue d’évoluer.

De tous les virus, ceux de la grippe sont parmi les plus inquiétants, en raison du haut risque de mutations et de contacts avec les humains à travers les très grands élevages de volailles, notamment en Chine. Il faut ajouter à cela que certaines souches peuvent aussi se transmettre à d’autres mammifères d’élevage, dont des porcs.

 

4- Facteur aggravant : le réchauffement climatique

Un climat plus chaud favorise la montée vers le nord d’insectes comme ceux qui sont porteurs du virus du Nil occidental, de la dengue, et même de la malaria, y compris, potentiellement, au Canada.

Davantage de précipitations donnent aussi un coup de pouce, par exemple aux tiques responsables de la maladie de Lyme. Une étude en 2015 estimait que la chaleur et les pluies feraient commencer la saison des tiques deux semaines plus tôt en Amérique du Nord.

En augmentant le débit des eaux de ruissellement, la pluie favorise aussi la dissémination des pathogènes. Ainsi, dans l’ensemble de la planète, les maladies dites « hydriques » —liées à la contamination d’eau souillée, comme le choléra— représentent 40% des urgences sanitaires liées au climat depuis le début des années 2000, selon un récent rapport de l’OMS.

En 2007, des chercheurs français avaient établi une corrélation entre l’apparition d’épidémies de choléra et les données climatiques dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest, indiquant du même coup que les changements climatiques et les variations du volume des précipitations avaient un impact sur l’émergence de foyers infectieux, impact pouvant se prolonger pendant des années.

Plus récemment, une équipe internationale estimait que « plus de la moitié » des maladies infectieuses seraient tôt ou tard « aggravées » par les changements climatiques.

Les précipitations les plus fortes auraient précédé l’apparition des deux tiers des maladies d’origines hydriques survenues entre 1948 et 1994 aux États-Unis. L'an dernier, des chercheurs établissaient un lien entre une saison des pluies 2021 plus importante que la moyenne dans le sud-ouest des États-Unis et l’éclosion de 1600 cas de virus du Nil occidental en Arizona —la plus importante éclosion de l’histoire au pays de Joe Biden.

 

5- Facteur aggravant : la sociologie?

En 2016, Sonia Shah avait aussi été prophétique quant à un comportement social :  « Contrairement aux actes de guerre ou aux tempêtes catastrophiques », écrivait-elle quatre ans avant l’apparition de la COVID, les pandémies « ne renforcent pas la confiance et ne favorisent pas les défenses coopératives. Au contraire, elles sont plus susceptibles d’engendrer la suspicion et la méfiance parmi nous, détruisant les liens sociaux aussi sûrement qu’ils détruisent les corps. »

C’est peut-être parce que l’ennemi est invisible, ou c’est peut-être à cause de notre sentiment d’impuissance face à cet ennemi. Mais dans tous les cas, si elle a raison, il faudra suivre la façon dont différentes populations réagiront, dans les prochains mois, à l’évolution de la variole simienne, ou à une éventuelle percée de poliomyélite en Amérique du Nord, après les premiers cas détectés cet été près de New York.

 

Pascal Lapointe et Mélody Alasset

 

Image: Science Photo Library

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