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On avait une «photo» de l’Univers vieux d’à peine 380 000 ans, ce qui relevait déjà de l’exploit. Voilà qu’à présent, on en a une provenant d’une micro-fraction de seconde après le Big Bang. Où vont-ils nous amener ensuite?

1. Ce n’est pas vraiment une photo, n’est-ce pas ?

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En effet, la grande annonce, faite ce lundi, 17 mars au Centre Harvard-Smithsonian d’astrophysique, et qui faisait vibrer de rumeurs la twittosphère cosmologique depuis quelques jours, n’a pas, pour le grand public, la clarté d’une photo —et elle n’est pas «claire» non plus pour le langage courant. On parle plutôt d’une trace indirecte, diffuse —et néanmoins solide d’un point de vue statistique. Une empreinte laissée dans le cosmos par quelque chose qui n’existait, jusqu’ici, que dans des équations mathématiques: des ondes gravitationnelles produites par l’inflation.

2. Ondes gravitationnelles, inflation: deux concepts que les vulgarisateurs ont du mal à faire digérer?

Notre Univers ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui s’il n’avait pas connu dans une fraction de sa première seconde une expansion démesurément rapide appelée inflation. Si le comment du déclenchement de cette inflation (et de son arrêt) reste obscur, l’important ici, pour comprendre la découverte, est de savoir que les modèles théoriques décrivent l’inflation depuis 1980... mais que, pour démontrer que ce n’était pas juste une théorie, on faisait face à une autre paire de manches.

C’est parce qu’en l’absence de lumière pendant le premier demi-million d’années, pas de photo possible, même avec les plus puissants télescopes. Reste le «fond diffus cosmologique» (cosmic microwave background), parfois appelé «écho du Big Bang», cette toile de fond qui imprègne tout l’Univers, et qui avait été détectée en 1964. Or, bien que, dans la dernière décennie, on ait réussi à dresser des cartes de plus en plus précises de cette toile de fond telle qu’elle était 360 000 ans après le Big Bang, et bien que ces cartes confirment la présence de «grumeaux» dans la soupe cosmique qui deviendront plus tard les galaxies, on n’y voyait nulle preuve de l’inflation. Jusqu’à aujourd’hui.

3. Quelle est donc cette trace?

Pour la visualiser, il faut penser aux cercles causés à la surface de l’eau par une pierre qu’on y jette.

Le terme «ondes gravitationnelles» vient d’Einstein. Celui-ci avait postulé, ce qui était révolutionnaire à l’époque, que l’interaction entre deux corps très massifs —deux trous noirs par exemple— serait suffisante pour créer des «ondes», des perturbations détectables dans le tissu cosmique. Et c’est ainsi que notre cosmos en apparence bien tranquille s’est mis à être comparé à un lac lorsqu’on y jette une pierre: des ondes se propageraient dans le cosmos à partir du point d’impact.

Beaucoup d’expériences ont été tentées pour détecter une telle onde, au cas où sa trajectoire croiserait celle de la Terre. Pas facile: une onde gravitationnelle, c’est un million de fois plus petit qu’un atome.

En revanche, si on se replace à l’échelle cosmique, les ondes créées par l’inflation —événement «massif» s’il en est— seraient-elles détectables dans la carte du jeune univers? C’est le pari lancé depuis les années 1980, qui aurait donc été remporté à présent —sous réserve d’autres analyses qui confirmeront ou non ces données— grâce à un observatoire des micro-ondes situé en Antarctique.

4. Une trace infime, mais encore?

L’équipe associée à l’observatoire BICEP (Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarization) a mis trois ans (2010-2012) à passer au crible une petite portion du ciel. Le signal qu’ils ont identifié est appelé par les experts B-mode polarisation : une caractéristique que les modèles attendaient, et qui n’aurait pu être produite, affirment les physiciens, que par des ondes gravitationnelles «qui se déplaçaient avec l’Univers» lors sa période d’inflation.

5. B-mode quoi?

C’est là que, pour le profane, ça se complique. Les observatoires (WMAP dans les années 2000, Planck actuellement) qui ont cartographié le fond diffus cosmologique, ou toile de fond, ou écho du Big Bang, ont détecté essentiellement des fluctuations de température: infimes, mais suffisantes pour qu’on voit se détacher ces «grumeaux» dans la soupe.

Mais la polarisation, c’est un grand pas vers ce qui s’est passé dans ce milliardième de milliardième de seconde fatidique. Soit vers le «comment» de cette fameuse inflation: qu’est-ce qui l’a déclenchée et pourquoi s’est-elle arrêtée. S’il faut en croire les physiciens, c’est la plus importante percée en astrophysique en 20 ans. «À part trouver de la vie sur d’autres planètes ou directement détecter de la matière sombre », commentait en fin de semaine Sean Carroll sur son blogue, «je ne peux trouver aucune autre découverte plausible plus importante que celle-ci pour améliorer notre compréhension de l’Univers».

«Si ces résultats sont exacts, la théorie de l’inflation vient de passer son test le plus difficile», estime Alan Guth, qui fut l’un des pionniers de la théorie de l’inflation, il y a 35 ans.

6. What’s next?

L’histoire de la physique théorique depuis le début du 20e siècle, c’est un peu les deux solitudes: d’un côté, la physique quantique avec ses lois si étranges, de l’autre, la gravité. Et entre les deux, des cerveaux qui tentent —en vain— de trouver un pont: la grande théorie qui unifierait quantique et gravité.

Or, cette annonce du 17 mars touche du doigt —façon de parler— la jonction des deux mondes: parce que ces fameuses ondes gravitationnelles, elles sont nées d’un «moment» ou d’un «lieu» où la gravité travaillait à la même échelle, si l’on peut dire, que le monde quantique.

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