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«Lève-toi et marche». Les liens entre le langage et la motricité sont aujourd'hui encore méconnus. Victor Frak, chercheur au Laboratoire Cerveau Motricité Langage de l’Université du Québec à Montréal, a récemment publié, avec sa collègue Tatjana Nazir, un ouvrage sur les plus récentes recherches dans ce domaine, intitulé Le langage au bout des doigts —les liens fonctionnels entre la motricité et le langage .

Entrevue.

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Agence Science-Presse (ASP) — Nous entendons peu parler des liens entre motricité et langage, pourquoi?

Victor Frak (VF) — Parce qu'il s'agit d'un sujet controversé. Aux États-Unis, on soutient souvent qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour étayer ces liens. Pourtant, en Europe, de nombreuses recherches explorent les circuits cérébraux liés au langage et à la motricité, un domaine de recherche appelé aussi la neuroscience intégrative. Un exemple: les neurones miroirs, activés quand une personne fait une chose, mais aussi lorsqu’elle observe quelqu’un d’autre le réaliser, jouent un rôle dans l’apprentissage par imitation ou dans la capacité à nous mettre dans la peau des autres.

ASP — Vous tentez dans ce livre de démystifier ces liens?

VF — Exactement. Cet ouvrage est le fruit de trois ans d’information et de contacts dans le milieu pour réunir les principales trouvailles en neurologie et en biologie portant sur les liens entre le langage et la motricité. La première partie du livre traite des bases anatomiques et fonctionnelles du langage et de la motricité. La seconde explique leur application: du mouvement dans les mots, le geste iconique du jeune enfant et même les éléments de phonétique en langue des signes québécoise.

ASP — Justement, quelles sont les applications concrètes de ces liens?

VF — Par exemple, Paula Malangolo, une chercheuse italienne, réalise des travaux dans le domaine de la réadaptation des sujets aphasiques, des personnes ayant perdu l’usage de la parole à la suite d’une lésion au cerveau. Lorsque des thérapeutes soulignent leurs gestes avec des mots particuliers, qui mettent l'accent sur l'action, comme couper, venir, etc., ils observent une activité dans les aires du cortex moteur des sujets et constatent que ce processus peut influencer leur récupération. Ces liens sont plus connus dans le domaine médical qu’auprès des scientifiques, mais il semble que l'activité motrice faciliterait aussi l’apprentissage de la parole chez les enfants.

ASP — Le geste précède donc le langage chez les enfants?

VF — C’est cela. Des études récentes, dans le domaine du développement, montrent que les petits enfants utilisent des gestes pour communiquer avant même de parler. Dès l'âge de 9 à 12 mois, les enfants ont recours à leurs premiers gestes et conserveront cette habitude de communiquer par gestes même lorsqu’ils parleront. Le geste a donc ici une fonction facilitatrice pour l’apprentissage de la langue.

ASP — Est-ce que cela va dans le sens de vos propres recherches?

VF — Tout à fait. Dans une étude passée, nous nous sommes plutôt intéressés à la force de préhension des participants lorsqu’ils entendent des phrases liées à des activités. Nous avons réalisé par exemple que leurs mains se relâchaient lorsqu'ils entendaient des phrases négatives, comme «Laure ne soulève pas son bagage». Plus récemment, nous leur avons présenté des pseudoverbes d’action hors contexte —«Paul grille le contrat»— et avons constaté que la pertinence des mots était également importante pour que le sujet réagisse et que nous mesurions un changement. C’est comme si la «région motrice» du cerveau comprenait le langage. Nous allons poursuivre nos recherches dans cette direction afin de tenter de mieux comprendre ce qui se passe.

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