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Loup solitaire ? Fondamentaliste religieux ? Victime de troubles mentaux ? Chaque nouvelle tuerie de masse vient raviver le même lot de questions sur l’identité du tueur. Au fil de ces tragédies, il est toutefois une caractéristique dont la constance ne semble pas faire débat : l'auteur du carnage est presque toujours un homme. Le Détecteur de rumeurs a voulu vérifier.


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Qu’est-ce qu’une tuerie de masse ?

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D'après l'Étude sur la prévention de la violence dans les institutions publiques du Centre international pour la prévention de la criminalité, produite en 2015 pour la Sécurité publique du Québec, quatre critères permettent de définir la tuerie de masse : le tueur s’attaque à un collectif, pour ce qu'il représente ; la tuerie est perpétrée par un seul ou un nombre très restreint d'assaillants, dans un lieu unique et au cours d'un seul événement. Enfin, la tuerie « fait un minimum de quatre victimes ». Si, comme le soulignent les auteurs, ce dernier point ne fait pas l'unanimité dans la littérature scientifique — certains placent plutôt la barre à deux ou trois —, on notera que sous l'administration Obama, en 2013, le nombre de victimes minimales servant à définir une tuerie de masse avait officiellement été ramené à trois.

Presque toujours un homme

Selon le magazine Mother Jones, entre 1982 et février 2018, les États-Unis ont enregistré 97 tueries de masse. Des données compilées par ce magazine américain — et mises en graphique par le portail Statista — il ressort que dans 94 des 97 cas, le tueur était un homme. Du reste, une de ces tueries a été commise par un homme et une femme, ce qui signifie que dans seulement deux des 97 cas, l'auteure du carnage était une femme.

« Ce constat se vérifie au Canada, où tous les tueurs de masse depuis 1980 sont des hommes », écrivent les auteurs de l’étude québécoise de 2015, qui dénombrent au total sept tueries de masse entre 1984 et 2014, dont quatre s'étant produites au Québec.

Violence et masculinité contrariée : un lien à faire ?

Pour comprendre cette surreprésentation masculine, « certains auteurs suggèrent que la glorification de la violence, un comportement assigné au genre masculin dans la culture populaire, est une piste à explorer, car les conséquences de ces mythes, peut-on lire dans cette étude, influent sur les modèles sociaux masculins. D’autres encore observent que, dans la culture occidentale, la masculinité est souvent synonyme de violence. »

En analysant les tueries de masse en milieu scolaire de Columbine, Virginia Tech et Northern Illinois — qui se sont toutes trois conclues par le suicide final des assaillants, chaque fois des hommes — les sociologues américains Rachel Kalish et Michael Kimmel ont relevé en 2010 dans leur article Suicide by mass murder : Masculinity, aggrieved entitlement, and rampage school shootings, des points communs dans la motivation des auteurs et dans leurs perceptions troublées de la masculinité. Précédemment humiliés, ignorés ou intimidés par leurs pairs, ces jeunes concevaient ainsi le passage à l'acte comme un droit de se venger d'un groupe qui les avait lésés et comme la seule façon de se réapproprier leur identité masculine. « Ce qui transforme un individu qui se sent lésé en tueur de masse, c'est également le sentiment qu'il éprouve d'être dans son droit d'utiliser la violence contre les autres… Ce sentiment d'être dans son droit de chercher réparation, car on s'estime lésé (en anglais, “aggrieved entitlement”) est une émotion genrée. Et son genre est masculin », avancent Kalish et Kimmel.

Dans son ouvrage Angry White Men : American Masculinity at the End of an Era (2013), Michael Kimmel approfondit cette notion du « aggrieved entitlement », sentiment qu'il estime être ressenti par de nombreux hommes blancs aux États-Unis, avec la supposée fin des privilèges qui leur était jusqu'ici dévolus. Eux qui estiment avoir « un droit de naissance à l'argent, au pouvoir et aux femmes », expliquait le sociologue dans une entrevue à Vox en 2014, tombent dans une rhétorique victimaire et éprouvent un sentiment d'injustice. Kimmel cite ainsi le cas de George Sodini qui a abattu trois femmes et en a blessé 9 dans son club de gym en 2009, avant de se suicider. Comme le rapportait le New York Times à l'époque, Sodini s'était notamment plaint de son manque de succès auprès des femmes et du fait qu'il n'avait pas réussi à avoir de relations sexuelles en 20 ans.

Un discours masculiniste et une haine ciblée à l'encontre des femmes qui ne sont pas sans rappeler les motivations qui sembleraient, en tout ou partie, avoir animé cette semaine l'auteur de l'attaque meurtrière au camion bélier de Toronto.

Par ailleurs, d'autres pistes tendent également depuis plusieurs années vers l'établissement d'un lien entre tuerie de masse et masculinité toxique. Aux États-Unis, une analyse réalisée par l'organisme Everytown for Gun Safety — qui milite pour le contrôle des armes à feu — sur des données allant de 2009 à 2016, met en évidence une importante corrélation entre tueries de masse et violences domestiques. Ainsi dans au moins 54 % des tueries répertoriées pendant cette période, l'actuel (le) ou l'ex-partenaire intime — ou un autre membre de sa famille — comptaient parmi les victimes du tueur.

Si le lien de cause à effet n'est pas pour autant systématique, restreindre l'accès aux armes aux hommes ayant des antécédents de violence familiale porterait ses fruits, si cette mesure était appliquée de façon plus drastique, suggérait le Time Magazine en novembre dernier.

Au Canada et au Québec également, la très grande majorité des homicides conjugaux sont commis par des hommes à l’endroit de femmes, rapporte l'Institut national de santé publique (INSPQ). Ainsi, « au cours des 30 dernières années au Canada, le taux d’homicides conjugaux comprenant une victime féminine est demeuré environ de trois à quatre fois plus élevé que le taux d’homicide conjugal comprenant une victime masculine » peut-on lire sur le portail de l'INSPQ.

Le cas américain

Bien que l'équilibre psychologique de l'assaillant soit souvent avancé pour expliquer son geste, ce facteur serait loin d'expliquer à lui seul le phénomène aux États-Unis. La prévalence du nombre de tueries y dépasse ainsi largement celles de nations confrontées à des problématiques de santé mentale comparables, notait récemment le New York Times. Avec un taux d'homicides par armes à feu très loin devant celui de la moyenne des autres pays développés et sachant que les hommes y sont trois fois plus nombreux que les femmes à posséder une arme, l'exemple américain semble confirmer l'idée que les tueries de masse relèvent en partie de la « violence de genre ».

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