Sans répit, depuis un siècle, une croisade antidarwinienne se poursuit aux États-Unis . Sa plus récente incarnation s'appelle le Dessein Intelligent. Après avoir perdu à la fin de 2005 un retentissant procès, il semble que ses adeptes nous reviennent avec une nouvelle stratégie pour pénétrer dans les écoles.

Je vais exposer ces stratégies la semaine prochaine; mais j'aimerais profiter de cette occasion afin de rappeler ici, pour mémoire, quelques-unes des grandes lignes de la croisade américaine contre Darwin.

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C'est que dans ce pays, l'opposition au darwinisme a pris des formes étonnantes et particulièrement virulentes et qu'il est utile d'avoir cet arrière plan historique en tête pour mieux comprendre la portée et la signification de toute l'actuelle agitation autour du Dessein Intelligent.

Un point de départ commode est le célèbre Procès Scopes, en 1925.

Le clergé américain s'était jusque là accommodé aux idées de Darwin; mais la montée du fondamentalisme protestant va tout changer. La doctrine en question est exposée dans divers tracts parus entre 1910 et 1915 et réunis en volumes sous le titre: The Fundamentals .

On y défend une lecture littérale de la Bible, présumée infaillible, avec des relents de doctrine millénariste héritée du siècle précédent. L'opposition au darwinisme n'y occupe pas encore une grande place. Mais cela va vite changer, pour plusieurs raisons.

Avec le développement de la génétique, d'abord, le darwinisme occupe une place plus importante encore en science et est donc plus visible et plus menaçant; ensuite, l'éducation secondaire, devenue obligatoire, touche tous les jeunes et toutes les familles; de plus, comme le montre Edward J,. Larson dans son excellent livre, l'évolutionnisme est souvent associé au militarisme, à un capitalisme de laisser-faire et à l'eugénisme.(C'est essentiellement à cet ouvrage que je dois les informations contenues dans cet article)

Autour de 1920, la théorie de l'évolution devient donc une cible attaquée par les leaders fondamentalistes. En 1922, William Jennings Bryan amène le débat dans l'arène politique et juridique, en essayant de rendre illégal l'enseignement de la théorie de l'évolution dans les écoles publiques. En 1925, le Tennessee devient le premier État à le faire (Butler Act, 1925). L' American Civil Liberties Union va réagir en faisant de cette loi une cause type.On demandera donc à un jeune enseignant, John T. Scopes, de se prêter au jeu du procès. Bryan lui même assurera la poursuite et Clarence Darrow la défense. Mais le procès devient vite un cirque (avec un notable et célèbre épisode durant lequel Darrow fera passer Bryan pour un bouffon...), Scopes ne témoignera même pas et sera finalement condamné à une amende de $100. Ce jugement sera renversé sur un point de détail et les choses en resteront là.

Sautons quelques décennies. Au début des années 60, bien des Américains se sentent menacés par le lancement du Spoutnik et les pouvoirs publics inaugurent un vaste programme pour améliorer l'enseignement des sciences. En 1963, on lance donc le BSCS: Biological Sciences Curriculum Study, qui fait une place importante à l'enseignement de l'évolution.

Les fondamentalistes — par exemple les influentes Églises du Sud des États-Unis — vont alors essayer de nouveau d'interdire son enseignement ; mais il seront déboutés en Cour Suprême en 1968. Ils vont à ce moment-là déployer une nouvelle stratégie qui sera de tenter d'obtenir qu'on enseigne le créationnisme à côté de la théorie de l'évolution. Il existe diverses «écoles» de créationnisme. Parmi les plus visibles et influentes, on compte celles qui défendent un créationnisme strict fondé sur l'Idée d'une «Terre jeune» (Young Earth) ou qui invoquent une «nouvelle Géologie» qui fait une place au déluge. Deux influents organes de cette mouvance sont la Creation Science Society (aujourd'hui: Creation Research Society), fondée en 1963 ainsi que l' Institute for Creation Research .

Cette dernière institution a publié de nombreux manuels de biologie destinés à l'important marché des écoles et collèges chrétiens.Une nouvelle et longue bataille juridique s'est donc enclenchée au milieu des années 70, alors que le militantisme de la droite religieuse est particulièrement fort. À ce moment-là, quelques commission scolaires et trois États adoptent même des lois ou des politiques prônant une «approche équilibrée» (balanced treatment)de la question de l'évolution. Avec les années, elles seront cependant toutes déclarées inconstitutionnelles, cette longue bataille juridique culminant en 1987, alors que la cour Suprême des États-Unis se prononce contre la Loi sur le traitement équilibré ( Balanced Treatment Act) de la Louisiane.

Ce n'est cependant pas la fin de cette histoire, comme on le sait. Depuis quelques années, on a assité à l'avènement de ce qu'on appelle le néo-créationnisme. Ce terme recouvre deux théories: celle de l'Apparition Soudaine (Abrupt Appearance) et cette du Dessein Intelligent (Intelligent Design). Leurs promoteurs ont aux États-Unis un terrain particulièrement fertile pour leurs idées. Si j'en crois des chiffres cités par Larson, on trouve typiquement sondage après sondage que la moitié des Américains croient que Dieu a créé les êtres humains dans leur forme actuelle il y a 10 000 ans; 40% croient que les êtres humaisn ont évolué avec le temps, mais que Dieu a guidé le processus; et que 10% des gens seulement adhèrent à une vision naturaliste de l'évolution.

Je reprendrai de là la prochaine fois, en rappelant les idées des adeptes du Dessein Intelligent, leur procès perdu en 2005 et la manière dont il semble qu'il s'y prennent en ce moment pour obtenir un traitement égal, à l'école, pour leurs idées.

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