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C'est dans l'esprit d'une suite d'articles sur la brevetabilité que notre petit groupe (Opinio juris) a entamé sa dernière aventure de rédaction.

Nous vous avons amené à travers une vaste étendue sauvage, forêt de principes juridiques où la jurisprudence s'entrelace autour de concepts légaux. Au sommet du plus grand arbre de cette jungle, vous avez pu apercevoir toute la théorie qui soutient le Brevet: « Nouveauté », « Inventivité », « Utilité ». Ensuite, nous avons visité une grande vallée, splendide, prolifique au cœur de laquelle une rivière de génie scientifique nourrit nombre d'arbres fruitiers. Vous y avez compris les bénéfices d'un brevet, les fruits que ce document peut apporter. Mais... au bout de cette vallée féconde, à l'estuaire de cette belle rivière, se trouve un océan tumultueux. Sous un ciel obscurci, des vagues d'idéologie se heurtent à des courants de pensée et éclaboussent les juges, marins habiles, qui s'aventurent en mer pour décider une bonne fois pour toutes qui aura le dessus. Charles-Étienne vous a guidé à travers les houles de cet océan d'incertitudes et de points parfois négatifs aux brevets. Il me rend aujourd'hui la barre, afin que je poursuive avec vous notre épopée.

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Le brevet informatique est-il un poids à poser sur le plateau sombre de la balance de la brevetabilité? Parfois oui, parfois non... tout dépend des circonstances entourant son octroi et sa poursuite. Tentons d'éclaircir ce concept qui, lui aussi, crée bien des vagues depuis quelques années.

D'abord, je m'aperçois qu'« informatique » n'est peut-être pas le terme approprié. En effet, ce mot à connotation assez large comprend, à mon avis, le software et le hardware. En ce qui concerne la brevetabilité, donc, il semble que le côté hardware de l'informatique s'expose à peu de controverse. Rappelons les trois critères: nouveauté, inventivité et utilité. Si une nouvelle génération de CPU, un système de refroidissement avant-gardiste ou la connectivité améliorée d'un chipset rencontre les trois critères, ce sont des inventions brevetables... inévitablement! On y touche, on les voit, on les manipule; bref, il s'agit de hardware. Nous éprouvons toutefois un problème lorsque nous tentons de breveter ce qui soutient la fonctionnalité de ce matériel «dans» l'ordinateur. Le bios, les codes, les logiciels appartiennent au software. Dans ce domaine de la science informatique, il est beaucoup plus difficile de breveter une innovation. La polémique entoure donc ce que nous appellerons le « brevet logiciel » (plutôt qu'informatique).

Pensons au code source d'un programme d'ordinateur et étudions les trois critères. Peut-il être nouveau? L'environnement informatique évolue si rapidement... il est assez facile de s'imaginer plusieurs centaines de nouveaux algorithmes apparaissant tous les jours sur la planète. Peut-il être inventif? S'il est créé par un auteur qui a fait preuve de créativité et qu'il n'est ni une banale amélioration ni une évolution normale, à l'évidence il s'agit d'un code source inventif. Peut-il être utile? Espérons-le, autrement son auteur mérite de se poser quelques questions sur ses objectifs expérimentaux... Voilà, les trois critères sont remplis, un code source est brevetable!! C'est aussi simple que ça. À moins que... Eh, minute! Trop facile... Je sens que nous passons outre un élément, un élément de base, plus important encore que les trois critères. Le terme « auteur » mentionné à deux reprises n'a-t-il pas accroché votre regard? Un code source est-il vraiment une invention? Ne serait-ce pas plutôt une œuvre, chiffrée mais littéraire en quelque sorte?

C'est du moins ce qu'en pense généralement la législation canadienne et européenne qui tend à protéger les programmes informatiques par droit d'auteur plutôt que par brevet. Cependant, des courants opposés existent aux États-Unis et au Japon, où l'on se montre plus permissif face à la brevetabilité logiciel. La Cour Suprême des États-Unis a en effet décidé, en 1981, dans Diamond contre Diehr, que certains logiciels étaient brevetables. Le test dénommé Freeman-Walter-Abele a été appliqué dans plusieurs affaires ultérieures. Ce test comprend deux étapes :

1. La revendication présente-t-elle, directement ou indirectement, un algorithme mathématique ? 2. Si oui : l’invention revendiquée dans son ensemble ne concerne-t-elle pas que l’algorithme lui-même ; autrement dit, l’algorithme s’applique-t-il à des éléments physiques ou aux étapes d’un procédé ?

Notons par ailleurs que les ADPIC rattachent davantage les concepts mathématiques, passablement proches des algorithmes logiciels, au droit d'auteur. L'esprit des Accords internationaux penche donc davantage vers la position canadienne et européenne. Or, des courants de jurisprudence réitèrent cette position. Quoi qu'il en soit, même ici, on tente quand même de rédiger des brevets logiciels. Certains agents de brevets en fond même leur spécialité. Risqué, mais onéreux, me direz-vous! La technique paraît assez simple: rattacher chaque élément logiciel (software) de la nouvelle technologie à un élément matériel informatique (hardware) qui lui sert de support et, ce, pour chacune des revendications du brevet. Gare à vous car, quoique cette méthode semble anodine, des années d'expérience de rédaction sont nécessaires pour que l'examinateur acquiesce aux termes de la demande.

Certains diront que cette méthode est une façon de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, clamant haut et fort l'illicéité du processus. D'autres salueront doucement les rédacteurs de brevets, le sourire en coin. Les juges auront beau prendre le large pour combattre la tempête d'idéologie et faire cesser les vagues, il semble que le marché sache s'adapter comme une pieuvre jetant son encre noire sur les décisions judiciaires. Ou alors, serait-ce plutôt comme une douce sirène chantant La Bannière Étoilée sur les berges du monde entier...

Jean-Raphaël Champagne

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