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L'été passé, j'ai lu une histoire qui, sur le coup, m'a quasiment obsédée. Je ne savais pas pourquoi j'étais si fascinée, si ce n'est que j'avais l'impression qu'elle mettait quelque chose d'important en lumière... Mais quoi?

J'ai enfin compris ce que c'était, alors laissez-moi vous la raconter.

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L'été dernier, donc, Sam Hamad, alors ministre des transports, avait déclaré que toutes les routes du Québec étaient sécuritaires. En août, le Devoir rapporte que quelqu'un avait fait autre chose que lever les yeux au ciel en rigolant et s'était plutôt tourné vers l'Ordre des ingénieurs du Québec. Jusque là, je dois avouer que je ne savais pas que Sam Hamad était, de formation, ingénieur civil. Vous le saviez? J'ignore malheureusement le nom de l'homme qui a contacté l'OIQ, mais sa question était simple : lorsque Sam Hamad déclare que les routes du Québec sont sécuritaires, est-ce son avis professionnel? Et est-il vraiment en position d'émettre un tel avis? Le code de déontologie de l'OIQ comporte en effet l'article suivant :

L'ingénieur ne doit exprimer son avis sur des questions ayant trait à l'ingénierie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes et sur d'honnêtes convictions.

Sam Hamad était-il vraiment en mesure d'affirmer que toutes les routes du Québec sont sécuritaires? Il n'avait certainement pas fait lui-même d'études sur le sujet, mais avait-il au moins lu des rapports d'ingénieurs qui menaient à cette conclusion? Avait-il vraiment lu des rapports complets sur toutes les routes du Québec? Bien sûr que non : il parlait en politicien, et tout le monde le savait. Et de toute façon, « sécuritaire », ça veut dire ce que ça veut dire...

Fin de l'histoire que je trouvais jusqu'à récemment fascinante sans savoir trop pourquoi.

Quelques mois plus tard, je tombe coup sur coup sur trois articles qui m'éclairent enfin. Mi-novembre, je reçois d'abord mon numéro du New Scientist de début novembre par la poste (je le reçois toujours deux semaines en retard, je pense qu'ils me l'envoient par bateau à vapeur directement de Grande Bretagne...). Sur la couverture, une statue de la liberté qui a laissé tomber son flambeau et un titre accrocheur : Unscientific America. À l'intérieur, entre autre, un article hallucinant de Shawn Lawrence Otto, qui a fondé le mouvement ScienceDebate2008 visant à faire entrer la science dans le débat politique et qui vient de lancer un livre sur l'état de la culture scientifique aux États-Unis. Il y dit, et c'est crucial: « Sans vérité objective, tout argument devient rhétorique. » Lumière numéro un.

Si ceci vous dit quelque chose, c'est parce que Pascal Lapointe, dans sa nouvelle série « La construction de la science pour les nuls », vient de publier un billet qui le mentionne . Plus tôt dans la série, il écrivait: « Un citoyen qui comprendra mieux ce processus [de validation par les pairs] comprendra pourquoi toutes les recherches n’ont pas une valeur égale, pourquoi tous les scientifiques n’ont pas une valeur égale, et plus important encore, il comprendra qu’il a le droit de faire la distinction entre fait et opinion, même s’il n’a pas étudié en science. » Lumière numéro deux.

Enfin, j'ouvre cette fin de semaine mon New Scientist du 19 novembre (comptez, ça fait deux semaines, je vous le dis, ils me l'envoient par bateau...) et j'y trouve une entrevue avec Tim Minchin, un humoriste que j'ai toujours trouvé pas très intéressant (mes excuses) et qui explique brillamment (de toute évidence je m'étais trompée) ce qui l'irrite avec l'opinion faite reine : « I get frustrated that it's culturally acceptable to place opinion on a pedestal that doesn't seem to relate to information. Science is a structure in place to stop people imposing personality onto the pursuit of knowledge. (…) Pragmatically, it is the only system that even bothers to try and minimise bias. » En d'autres mots : « Je suis frustré de voir que nous acceptons de mettre l'opinion sur un piédestal d'une façon qui ne la lie pas à l'information. La science est une structure qui empêche que chacun puisse détourner la poursuite du savoir selon ses envies. (…) C'est le seul système qui au moins se donne la peine d'essayer de minimiser les sources de biais. » Lumière numéro trois.

Ce que toutes ces lumières font apparaître, c'est le triomphe de l'opinion sur les faits, « des vérités » sur la réalité. À force de n'entendre que du spin, on en oublie qu'il existe autre chose. On en oublie que le débat scientifique n'a rien à voir avec un débat politique, que les faits ne s'établissent pas par concours de popularité. On en oublie qu'un ingénieur, comme Sam Hamad, sait (et devrait!) faire autre chose que donner « son opinion »; que les faits, la réalité peuvent (et doivent!) faire partie du débat public. Combien d'électeurs croient, aujourd'hui, qu'il est tout simplement impossible de savoir si oui ou non les routes du Québec sont sécuritaires, parce que ce n'est, finalement, qu'une question de point de vue? Et que, s'il existait une façon « scientifique » de le savoir, de toute façon, elle leur échapperait complètement?

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