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Tout d'abord je dois vous expliquer l'absence de manchette la semaine dernière. J'ai été invité à donner une conférence sur la «chimie du chocolat» à l'Université de Floride à Jacksonville. Avoir l'occasion d'aller en Floride au mois de février… je ne me suis pas trop fait tirer l'oreille et j'en ai profité pour étendre mon séjour.

Mais avec les températures que nous avons à Montréal ces jours-ci je regrette de ne pas eu avoir à y donner tout un cours sur le sujet. Un cours qui m'aurait amené, disons au mois de mars. Mais revenons sur terre et parlons vanille. Une fleur des tropiques. Ceci qui nous transporte, de manière imaginaire au moins, vers la chaleur.

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Comme nous l'avons vu dans une précédente manchette les Aztèques utilisaient la vanille pour rendre leur boisson au chocolat moins amère. C'était bien sûr de la vanille naturelle provenant de la plante vanilla planifola. Les Espagnols introduisirent la vanille en Europe en même temps que le chocolat mais tous les efforts pour faire pousser la plante en dehors de son territoire d'origine se révélèrent sans succès. En effet, l'orchidée qui produit la vanille a besoin d'être fécondée ce qui nécessite des insectes spécialisés qui sont seulement présents en Amérique Centrale. Mais en 1841 un esclave noir de l'Ile Bourbon (aujourd'hui La Réunion) Edmond Albius découvre à l'âge de 12 ans un processus de fécondation artificielle de la vanille. Grace à lui la culture de la vanille est aujourd'hui répandue dans plusieurs régions tropicales à travers le monde, avec Madagascar comme principal producteur.

L'arôme de la vanille est produit par plus 200 composés chimiques différents avec la vanilline comme molécule dominante. Comme aujourd'hui la vanille naturelle ne suffit pas à la demande, la vanilline synthétique a été développée et représente à peu près 95% du marché. La vanilline se retrouve entre autres dans les crèmes glacées, l'arôme de vanille étant de loin le parfum préféré des consommateurs. Ceux-ci sont tellement habitués à l'arôme synthétique que beaucoup le préfèrent à l'arôme naturel. La vanilline trouve aussi sa place dans d'autres domaines que l'alimentation. L'industrie pharmaceutique l'utilise pour préparer le L-Dopa, un médicament contre la maladie de Parkinson ou la papavérine* pour le traitement des spasmes cardiaques et gastro-intestinaux.

Dans le passé la vanilline était préparée à partir de la lignine, un déchet de l'industrie de la pâte à papier. Ce qui explique pourquoi, qu'à une époque, le Québec était l'un des premiers producteurs mondiaux de vanilline.

Quand l'œnologue annonce que le vin sent la vanille il y a une part de vérité là-dedans. Lorsque le vin est mis à vieillir dans des barils en bois, il réagit avec la lignine pour produire également de la vanilline. Mais la source la plus exotique de vanilline doit certainement être celle mise au point par le chimiste japonais Mayu Yamamoto. Son point de départ est la bouse de vache dont il extrait la lignine pour la convertir ensuite en vanilline. Un processus qui lui a valu l'Ig Nobel de chimie de 2007. Les Ig Nobels sont des prix parodiques, copiés sur les prix Nobel, mais qui célèbrent les découvertes insolites.

Aujourd'hui on utilise surtout le gaïacol un composé du pétrole pour produire la vanilline. La chromatographie en phase gazeuse permet de distinguer entre l'arôme naturel et synthétique. L'arôme naturel contient des composés comme le 4-hydroxybenzylaldéhyde que l'on ne retrouve pas dans l'arôme dérivé du pétrole. Bien sûr, rien n'empêche un fraudeur de rajouter cette molécule à l'arôme synthétique. Mais la science a une autre arme, le carbon-14 radioactif. La vanille naturelle a un certain niveau de carbon-14. Par contre, comme la demi-vie de l'isotope est de 5730 années, la vanilline dérivée du pétrole, qui est resté emprisonnée dans le sol pendant des millions d'années, ne contient plus de carbon-14 et n'est donc pas radioactive.

La vanille provenant de la plante coûte 200 fois plus cher que la vanilline synthétique. Un facteur ajouté au désir des consommateurs pout tout ce qui est «naturel» a amené l'industrie à produire «naturellement» de la vanilline synthétique. La compagnie belge Solvay là produit à partir de la fermentation microbienne de l'acide férulique, un sous-produit de l'usinage du riz. La compagnie Evola elle aussi emploie la fermentation microbienne mais à partir de sucre et d'une levure génétiquement modifiée. Dans les deux cas les compagnies prétendent que la vanilline est préparée à partir d'ingrédients naturels et de processus naturels. Elles revendiquent donc le droit à l'étiquetage «arôme naturel de vanille». Je vous laisse juger de la pertinence de cette approche.

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* Avant l'introduction du Viagra, la papavérine était aussi utilisée pour traiter l'impuissance sexuelle. Elle devait être directement injectée dans le pénis avant l'acte. Pas étonnant que le Viagra a eu tellement de succès.

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