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Autant la société que le monde scientifique tirent profit du travail des journalistes scientifiques, ces journalistes qui non seulement présentent au grand public les découvertes de la science mais tentent de lui expliquer leur contexte et leur importance, et ce dans tous les domaines, de la mécanique des changements climatiques jusqu’aux avantages de la vaccination.

L’exploitation des gaz de schiste menace-t-elle notre approvisionnement en eau potable ? La thérapie génique, les cellules souches et la stimulation du système immunitaire pour combattre le cancer, tiendront-elles leurs promesses ? L’existence des bélugas du fleuve Saint-Laurent est-elle véritablement menacée ?

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On ne compte plus les dossiers d’actualité susceptibles de bénéficier d’un éclairage scientifique.

Comment les médias et les journalistes peuvent-ils couvrir ces grands dossiers en présentant au public les meilleures connaissances disponibles ? Quel poids accorder à ces points de vue exprimés par des spécialistes bardés de diplômes, mais qui ne s’entendent pas pour autant ? Comment apporter au public les informations sur les risques inhérents à toute technologie sans engendrer une société frileuse de tout risque?

L’école joue un rôle déterminant dans la préparation de citoyens équipés intellectuellement pour faire les meilleurs choix. Par contre, aussitôt éloigné des bancs d’école, le public se trouve soumis à un flot incessant de technologies nouvelles et de choix sur lesquels les manuels étaient muets et que les enseignants ne pouvaient même pas envisager. Finalement, c'est aux médias et aux journalistes qu’incombe la tâche de présenter la science et la technologie pendant la majeure partie de notre vie.

Une grande responsabilité pour nos journaux, magazines, sites web et chaînes de radio et de télé. Où trouver les journalistes à hauteur de la tâche et comment réussir à les payer ?

L’intérêt pour la science et la nécessité des journalistes

Présentement, la très grande majorité des journalistes québécois qui couvrent la science et les facettes scientifiques des grandes questions d’actualité ont appris leur métier sur le tas. Le portrait du journaliste scientifique québécois, tracé par la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia, en 2010, présentait une profession où des hommes formés majoritairement aux sciences humaines et d’un certain âge cédaient la place à des jeunes femmes formées aux sciences de la nature. Et moins du dixième de tous ces journalistes détenaient un diplôme en journalisme.

Un très petit nombre de journalistes scientifiques québécois a eu la chance d’étudier à la fois les sciences et le journalisme et encore moins de faire la synthèse de ses apprentissages grâce à une véritable formation en journalisme scientifique.

De mon côté, j’ai investi beaucoup de temps et d’énergie à communiquer les sciences et les mathématiques, en écrivant plusieurs livres ainsi qu'en animant des émissions et des ateliers à l’intention des jeunes et du public en général. J’ai aussi souvent eu l’occasion de rencontrer et de côtoyer de nombreux journalistes.

Si j’en crois mon entourage et le nombre d’invitations que j’ai reçues, il y a un intérêt manifeste pour les mathématiques et les sciences, et c’est avec un immense plaisir que je visite les écoles et que j’interviens sur les tribunes publiques. Malheureusement, ce ne sont pas tous les mathématiciens qui choisissent de partager leur passion avec la relève et le grand public. Ce constat est également vrai pour la plupart des scientifiques de carrière. Fort heureusement, le journaliste scientifique vient combler cette lacune.

Et il fait davantage. En effet, le journaliste scientifique doit non seulement expliquer mais montrer comment une information scientifique éclaire un enjeu de société, économique, social et politique. Contrairement à ses collègues généralistes, qui se satisfont trop souvent de donner la parole à un pourfendeur et un défenseur d’une position quelconque, il présente une synthèse des connaissances en accordant davantage de poids aux arguments et points de vue les plus solides. Et tout cela à un rythme de plus en plus rapide.

La société bénéficie énormément du travail du journaliste scientifique en prenant connaissance des consensus scientifiques dans des domaines cruciaux. Quant au milieu scientifique, il retire prestige et crédibilité car le journaliste scientifique rappelle aux contribuables que ces universitaires et scientifiques génèrent des connaissances indispensables au progrès économique et au bien-être de la société.

Même si la passion de leur métier demeure leur principale motivation, il me semble que les journalistes scientifiques bénéficieraient énormément d’une formation conçue tout spécialement pour eux (en fait, je devrais dire pour elles).

Bien qu’il ne soit pas requis d'être scientifique pour faire du journalisme scientifique, il faut tout de même maîtriser de nombreuses notions scientifiques. Il faut savoir trouver l'information la plus fiable. Il faut savoir reconnaître les scientifiques les plus crédibles. Il faut être habile à discerner les connaissances vraies des fausses et, dans les controverses, savoir comment accorder davantage de poids aux positions les plus solides.

Afin de préparer les journalistes à ce métier exigeant, le Département d'information et de communication, en collaboration avec la Faculté des sciences et de génie de l'Université Laval, a entrepris de refondre complètement son enseignement du journalisme scientifique. Il y a deux ans, j’ai accepté de présider le comité de direction de la Chaire Bell Globemedia en journalisme scientifique à l’Université Laval.

Prochainement, l’Université Laval va créer trois cours qui feront éventuellement partie d’un programme en communication et journalisme scientifiques offert à distance.

Le Département d’information et de communication soutient la production de deux cours. D’une part, le cours Communication scientifique, donné par la journaliste scientifique Amélie Daoust-Boisvert, qui couvre la santé pour le quotidien Le Devoir, mettra l'accent sur les techniques de vulgarisation de la science et enseignera comment utiliser les outils modernes de recherche et de production de reportages écrits et électroniques courts. D’autre part, le cours Journalisme scientifique, donné par la journaliste scientifique Valérie Borde du magazine L’actualité, enseignera comment produire des dossiers et reportages journalistiques plus longs et étoffés. Ce cours sera l'occasion d'approfondir les techniques du journalisme scientifique, en particulier la couverture des controverses. Les étudiants auront l'occasion de créer des reportages plus fouillés et exigeants comme des articles de magazine ou des productions multimédia.

De mon côté, j’ai le plaisir de diriger la production d’un cours totalement nouveau qui sera la contribution de la Faculté des sciences et de génie. Intitulé Sciences et grands défis de l'humanité, notre cours présentera des notions de sciences indispensables à la couverture de grandes questions d'actualité à contenu scientifique.

Ce cours comporte 13 modules, chacun donné par un professeur/chercheur ou une équipe de professeurs et de chercheurs. Il débute par un survol de l'histoire des sciences et une description de la méthode et de la démarche scientifique. Il présente ensuite quelques notions de mathématiques (dont les concepts d’algorithme, de modèle mathématique et de recherche opérationnelle), de probabilités et de statistique (dont les concepts de loi normale, d’échantillonnage et de corrélation, de moyenne et de médiane, etc.). Le module suivant offre un aperçu des notions de physique utiles pour comprendre les phénomènes naturels de l’univers. Quant au module chimie, il distingue drogues, médicaments et drogues de synthèse, et aborde la distinction entre produit naturel et synthétique, ainsi que l’apport de la chimie dans le développement des médicaments du futur. Vient ensuite le module sur l’astronomie et l’exploration spatiale, avec la description des phénomènes célestes ainsi que des grands instruments et sondes spatiales. Une série de modules présente ensuite la biologie et l'évolution, le monde des microbes (microbiologie), et des virus (virologie) avec une description de la vaccination et des études cliniques. Cette série se termine avec une présentation des techniques biotechnologiques et de leurs applications. Puis, un module présente le cerveau, les maladies mentales et la recherche en neuroscience. Le cours se conclut avec un module sur les changements climatiques et leur incidence sur le manque d’eau potable, et avec un dernier module sur la transformation du monde arctique.

Avec ce cours, le journaliste scientifique devrait être beaucoup mieux outillé pour d’une part bien saisir les grands enjeux de la science et d’autre part, pour savoir comment et où aller se documenter pour vérifier et interpréter les prétentions des annonces de plus en plus fréquentes de percées scientifiques. Le public n’en sera que mieux servi, et par conséquent mieux éclairé pour éventuellement porter un jugement sage et judicieux.

Le faire comprendre aux rédacteurs en chef

Au cours des prochains mois, nous chercherons également comment équiper nos jeunes journalistes scientifiques d’une mentalité d’entrepreneur. En effet, les patrons de média demeurent malheureusement majoritairement ignorants du potentiel de la contribution d’un journaliste scientifique au succès de leur entreprise. La nouvelle génération de jeunes journalistes scientifiques devrait donc aussi posséder les arguments nécessaires pour convaincre les rédacteurs en chef de l’atout qu’ils présentent. L’immense champ scientifique offre tout le matériau nécessaire pour séduire, informer et s’attacher un public. Au public qui raffole d’insolite, la science offre des manteaux d’invisibilité, des dinosaures à plumes et des univers parallèles. À ceux et celles qui préfèrent se divertir, les scientifiques offrent autant d’histoires fascinantes et enlevantes au dénouement inattendu. Et lorsque l’auditeur ou le lecteur cherche une réponse à une préoccupation, la réponse qui émerge de la démarche scientifique demeure la plus fiable.

Le défi de convaincre la directrice de l’information ou le rédacteur en chef des avantages d’embaucher une journaliste scientifique n’a rien de nouveau. C’est une tradition bien connue du journaliste scientifique de justifier son boulot. Le journaliste scientifique nouvelle génération maîtrisera les données et les arguments pour le faire d’une façon plus convaincante et irrésistible.

Lorsque leurs journalistes ont démarré des blogues, pour la première fois, les grands médias traditionnels ont mesuré l’ampleur et la qualité du public rejoint et fidélisé par un journaliste scientifique. Avant, personne n’accordait d’importance à ces sondages indiquant que les gens raffolent d’informations scientifiques. Aujourd’hui, on peut mesurer et démontrer cet intérêt. Et si les médias existants ne donnent pas à ces jeunes journalistes scientifiques l’occasion de démontrer leur « rentabilité », certains envisageront — et c’est déjà en voie de se faire dans certains milieux — de créer de nouveaux médias qui innoveront dans la façon d’insérer le savoir scientifique dans la société.

Les journalistes scientifiques ont un énorme potentiel comme animateurs des débats éclairés sur les choix scientifiques et technologiques auxquels le Québec sera de plus en plus confronté. Ils sont au service du public et non de simples porte-paroles des scientifiques. Ils exigent le meilleur du monde de la recherche et de la science. Ce faisant, ils apportent l’éclairage de la science et renforce ainsi la réputation du pouvoir explicatif et prédictif de la science.

Je demeure confiant que les médias et le public québécois bénéficieront prochainement de journalistes scientifiques formés autant pour bien alimenter les débats que pour contribuer à la réussite intellectuelle et économique de leur média.

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