Quel temps pour nos sociétés ?

Après la journée internationale de la lenteur, quoi de mieux que de s'interroger sur l'organisation de notre rapport au temps ?

Il y a plus d'une semaine, le 21 juin, jour le plus long de l'année et jour de la fête de la musique, était aussi la journée internationale de la lenteur. Écho avec la conférence-débat « Temps ou argent, qui rythme nos vies ? », qui a eu lieu à Bordeaux au début de cette année 2017, le mardi 17 janvier pour être précis.

Organisée par l’association des Dealers de science, la conférence-débat a croisé les regards d’un physicien, d’une économiste et d’un philosophe. Chaque intervenant·e disposait d’abord de dix minutes pour présenter ses réflexions, puis le public a été invité à poser ses questions. Petit tour des trois présentations.

Conférence-débat « Temps ou argent, qui rythme nos vies ? », Dealers de science
Conférence-débat « Temps ou argent, qui rythme nos vies ? », Dealers de science

Le temps de la physique, avec David Smith

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Dans la pensée du XVIIème siècle, le temps et l’espace sont indépendants, grâce au langage mathématique de Newton. Avec les théories de la relativité d’Einstein au début du XXème siècle, l’espace et temps sont compris comme étant indissociables. Ce changement radical de perspective a permis d’élaborer un système fiable de GPS, dont la position sinon dériverait d’environ dix kilomètres par jour.

Avec la fin de son discours, titrée « Un mot en tant que citoyen », le physicien a mis en parallèle ce renversement de paradigme avec notre vision du temps dans la société. Il y a argumenté une critique précise du productivisme, du capitalisme et de la distribution actuelle des richesses, avec un très cinglant : « Croire au taylorisme et à ses dérivés, c'est comme croire à la physique du XVIIème siècle. » Ce ne sont pas les sciences économiques du collectif Roosevelt qui diront le contraire.

Le temps de l'économie, avec Marie Coris

Le fait que les débats entre les économistes soient enterrés, notamment par beaucoup de professeur·euse·s d’économie qui balaient la question d’un coup de « C’est compliqué », pose problème car les modélisations économiques guident les décisions politiques. Par exemple, lorsque l’on réfléchit au coût du travail, il est important de se souvenir que ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité. Ainsi, grâce au partage du temps de travail, la France est parmi un des pays les plus productifs du monde. « Si penser aussi facilement que le temps est équivalent à l’argent, c’est que la conception économique du temps a été intériorisée. Pourtant, l’ennui est la situation qui stimule le mieux la créativité. »

Après un petit « On ne va pas débattre de la notion de croissance, mais on pourrait le faire », l'économiste a indiqué qu’il est nécessaire de sortir de la dichotomie imposée par le mot travail, où le temps est réparti selon l’utilité que l'on veut bien lui donner. Le temps doit être repensé en fonction de nos activités, qu’elles soient de travail, de foyer, de loisir, de repos, d'association ou de création. « Le progrès technique libère les individus, mais qui profite de ce temps libéré ? Si le résultat est d’aller toujours plus loin dans les transports, où est le plaisir dans l’aliénation au temps ? Dans notre société, l’économie dicte temps, mais est-ce que l’économie doit dicter l’humain ? »

Le temps de la philosophie, avec Christophe Bouton

Dans les normes sociales, prendre son temps est souvent considéré comme une incivilité. On le voit avec la campagne de communication « Restons civils sur toute la ligne » de la RATP, destinée à sensibiliser les voyageurs sur le thème des incivilités dans les transports en commun, avec l'image promouvant le noble comportement de fluidifier les déplacements.

Image issue de la campagne de communication « Restons civils sur toute la ligne » de la RATP
Image issue de la campagne de communication « Restons civils sur toute la ligne » de la RATP

La pression quotidienne et les souffrances au travail montrent un malaise vis-à-vis de notre organisation du temps. « Cela crée un rapport au temps dicté par le souci d’optimiser en permanence, y compris pendant le temps libre, rapport intériorisé par les individus. Il s'agit de néo-taylorisme, qui se rapproche du toyotisme dans le sens où il n'y a plus de contremaîtres, l'aliénation au temps se fait par autogestion. »

Au-delà du simple diagnostic, des solutions plus ou moins adaptées se développent. Le slow time, par exemple, courant plus ou moins sérieux car déjà récupéré par le marketing, fait l’éloge de la lenteur même s'il gagnerait à faire la distinction entre l’urgence et l’accélération. « Certains développent le nouveau marché des bars à sieste, comme s'il s'agissait de problèmes psychologiques. Dans ces cas-là, ni l’organisation du travail ni les rapports sociaux ne sont modifiés, on bricole pour ne rien changer. Pourtant, une action politique est possible, comme le montrent les actions autour de la chronopolitique. »


Puis vint le temps du débat, où les questions ont là aussi abordé en majorité les questions de chronopolitique. Un thème qui se retrouve dans l'article Le nouveau rythme des villes, du journal Le Temps presse ayant accompagné cette semaine de médiation scientifique.

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